Lointain souvenir de la peau. Russell Banks

Comme je ne lis jamais un livre totalement par hasard, il est quand même extrêmement rare que je déteste un livre que j’ai lu. Mais, à l’inverse, c’est pas tous les jours qu’en refermant un bouquin, je me dise « Putain, c’est ENORME ! »

Lointain Souvenir de la Peau, de Russell Banks, entre dans la catégorie, des « Putain, c’est énorme ! ». Plongeant à nouveau dans cette Amérique de la marge, cette Amérique désespérante par bien des côtés, Banks dresse le portrait d’un jeune marginal, Le Kid. Marginal parce qu’il est inscrit sur le fichier des délinquants sexuels. Il ne peut donc pas trouver de logement, parce qu’interdit de se domicilier à moins de 800 mètres d’une crèche, d’une école, ou d’une habitation où il y a des enfants (autrement dit partout, en zone urbaine). Il peut difficilement trouver un travail, puisque le fichier est consultable par tout un chacun, sans faire mention du crime commis. Il ne peut faire sa vie ailleurs, puisque son bracelet électronique implique qu’il ne sorte pas du Comté dans lequel il a été jugé.

Si c’est une ordure, un maniaque sexuel pédophile, pourquoi s’en soucier, me direz vous ? Et bien c’est tout le propos du roman. On va vite découvrir que Le Kid est le pur produit de la société Américaine, qui, non contente de mener une politique sécuritaire aberrante et sans résultat, est aussi une machine à créer de toutes pièces des coupables.

Le Kid va, lumière d’espoir, croiser la route, du Professeur, un prof de sociologie à la personnalité excentrique. Banks nous laisse l’espoir que, dans cette société complètement folle, des lueurs d’humanité existent encore. Et Le Kid, qui doit cheminer vers sa propre humanité peut, peut-être, s’appuyer sur ces rares lueurs.

C’est brillant, c’est émouvant, c’est toujours juste. On peut toujours, face à la criminalité (quelle qu’elle soit), fermer les yeux sur les raisons qui font que notre société actuelle est un terrain hyper fertile pour ces criminalités (ça vous rappelle rien ?). On peut aussi essayer de regarder la vérité en face, crue, tragique. On n’excuse alors rien, mais on essaie de réfléchir, de dévier légèrement le bateau à l’inertie énorme. C’est ce que, modestement, à sa place d’écrivain, avec ses mots percutants, Banks fait. Il ne nous ment pas, il ne nous leurre pas : il y a peu de raisons d’espérer. Mais les lueurs existent encore.

« Une putain de claque », un grand roman. Russell Banks s’affirme comme l’un des plus grands écrivains américains vivant.

Roman traduit de l’Américain par Pierre Furlan
Paru chez Actes Sud

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6 réponses à Lointain souvenir de la peau. Russell Banks

  1. Phil dit :

    « notre société actuelle est un terrain hyper fertile pour ces criminalités (ça vous rappelle rien ?).  »
    Heuuuu… non… ça devrait ? 😀

    « Russell Banks s’affirme comme l’un des plus grands écrivains américains vivant. »
    C’était ce que je m’étais dit déjà à la lecture de « American Darling » (en plus d’un autre que j’avais lu avant, je sais plus lequel…). Et tu confirmes là tout le bien que j’ai déjà lu ailleurs sur celui-là, qui rejoint mes top priorités de lecture du moment.

    • Cyrille dit :

      American Darling, pour moi, c’est un pur chef d’oeuvre. Exactement même genre d’émotion (et d’émotion litteraire), que celui ci

  2. Phil dit :

    Lu – et en effet c’est de la bombe nucléaire !

    Par rapport au fait de faire du « héros » un maniaque sexuel pédophile, on peut quand même préciser que c’est pas un mec hardcore qui viole des petits enfants de 4 ans non plus (ok – on ne sait pas jusqu’où il serait allé s’il n’avait été arrêté avant de faire quoi que ce soit). Ca n’enlève rien à l’intelligence du livre, mais il ne s’est quand même pas rendu la tâche impossible en essayant de créer de l’empathie avec la pire des ordures.
    Il s’en sort aussi en créant une sorte de suspense ambigu sur la nature réelle du « Professeur ».

    C’est « marrant » : en début de semaine, j’étais chez mon parodontiste (des stars – il a des dédicaces de Bruel ou Arthur dans son bureau) qui, voyant que je lisais ça, me disait qu’il avait décroché dans le dernier tiers, trouvant ça moins intéressant. Je guettais donc si ça allait me faire le même effet, mais non; je suis bien resté accroché jusqu’au bout.

    J’ai quand même préféré « American Darling » (évidemment complètement différent), mais celui-là déchire aussi !

    • Cyrille dit :

      Oui, mais si tu lis bien mon billet, tu verras que je ne dis pas que c’est réellement un « un maniaque sexuel pédophile ».

    • Cyrille dit :

      Et ton parodontiste, il est abruti 🙂

      • Phil dit :

        Je lui passerai le message (mais une fois qu’il m’aura effectivement fait une ristourne et un échelonnement sur les soins qui me coûtent non pas la peau du fion mais des gencives) !

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