Nous qui n’existons pas. Mélanie Fazi

Dystopia, la maison d’édition associative bien connue, n’avait jamais publié de non-fiction. Mélanie Fazi, qui a déjà collaboré avec Dystopia, au travers des traductions de Lisa Tuttle ou du recueil Adar / Retour à Yirminadingrad écrit plutôt de la fiction.
Quoi de plus logique alors que Nous qui n’existons pas, non-fiction de Mélanie Fazi, paraisse chez Dystopia ?

Comment parler d’un texte qui ne se raconte pas et dont on n’a pas envie de déflorer parce que dire quoi que ce soit de son contenu serait dire en moins bien ce que l’autrice dit avec talent ?

Il faut bien essayer quand même ! « Nous qui n’existons pas » est le récit d’un parcours d’une jeune femme vers la compréhension de son identité. Je n’ai pas trop envie de mettre un adjectif après identité (mais si on insiste : identité de genre, dirait-on aujourd’hui ; mais aussi un peu identité sexuelle, et aussi identité tout court parce que l’autrice finit par interroger tout ce qui peut faire différence par rapport à des éléments qui ne font pas question pour beaucoup de gens, ce qui isole encore plus ceux qui se questionnent à ces propos : le couple, la solitude, la question d’avoir ou non des enfants).

Une part de la quête de Mélanie Fazi est de nommer qui elle est. Je veux dire par là trouver un mot qui la caractérise. J’entends le besoin parce que d’abord, il permet de se reconnaître, et puis il facilite la vie, quand on a envie de partager (selon les mots de Mélanie Fazi : « Pour pouvoir expliquer ce que l’on est à ses amis, à ses proches, pour exister aux yeux du monde. ») Mais il est heureux, selon moi, qu’à ce jour (désolé de dévoiler la fin), cette quête n’ait pas tout à fait abouti, parce qu’elle serait selon moi réductrice. Il n’y a pas un mot, mais il y a les centaines de mots du texte qui expriment parfaitement les choses. Tout un tas de choses, d’ailleurs et avec une telle acuité que j’ai éprouvé le besoin irrépressible passer du stabylo sur le livre. Sacrilège ! (double sacrilège, même, c’est une édition dédicacée).

Le texte de Mélanie Fazi a entre autres comme immense atout de mettre des mots sur des choses simples, souvent indicibles ou sortants du champ du questionnement habituel. Sans pour autant être une thèse universitaire. C’est avant tout un témoignage.

Un autre intérêt est aussi la notion de parcours. Le texte est vivant parce qu’il ne se contente pas de dire « Voilà où j’en suis », mais plutôt « comment j’en suis arrivé où j’en suis ».

En levant un voile sur une part très intime d’elle-même, Mélanie Fazi met un coup de, projecteur sur ce qui reste (ou est devenu ?) un tabou de notre mode de vie actuel. Ou, en tout cas, à défaut de tabou, un non-dit. Non-dit qui est une souffrance pour qui veut vivre comme il en a envie sans avoir à justifier de sa vie ni répondre aux injonctions de la norme.

Elle permet aussi à chacun de s’interroger (en tout cas pour des gens qui ne se sentiraient pas directement concernés par le sujet), sur la façon d’envisager la vie de gens qui nous entourent, sur lesquels, peut-être, on applique une grille de lecture totalement inappropriée.

Effacez tout ce que j’ai écrit plus haut, oubliez mes mots maladroits, et lisez Nous qui n’existons pas. Le texte vaut mieux que toutes les explications qu’on essaiera de donner à son propos.

(Ceci était une renaissance de ce blog après 13 mois de mort clinique, rien ne dit qu’il ne va pas retomber dans un sommeil profond)

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Le moineau de Dieu. Mary Doria Russell

Le Moineau de Dieu, premier roman de Mary Doria Russel, a été publié il y a vingt ans (deux ans plus tard en France) et vient de ressortir chez Actu SF, dans une édition enrichie d’une postface et d’une interview de l’auteur. Je n’en avais pour ma part jamais entendu parler, et je ne saurais trop remercier mon libraire préféré de la rue Riesner d’avoir attiré mon attention là-dessus (on reconnaît un bon libraire quand il n’essaie pas de vendre n’importe quoi à n’importe qui, mais a pris le temps de connaître votre goût pour vous conseiller un bouquin qui a des chances de vous plaire).

La thématique du Moineau de Dieu a été largement traitée par la littérature de Science Fiction. C’est celle de la découverte d’un signal extra-terrestre et du premier contact. Mais Mary Doria Russel le traite de façon tout à fait originale.

Tout commence (dans un futur proche à la parution du livre, mais quasiment le présent pour nous : 2019) par la découverte d’un signal extra-terrestre venant d’Alpha du Centaure, par le radiotélescope d’Arecibo, vendu depuis peu aux Japonais. Une mission d’exploration comprenant sept personnes est envoyée vers l’étoile la plus proche de notre système solaire.

Évacuons de suite la seule faiblesse à mes yeux du roman (même si l’auteur donne en postface une explication cohérente, même si pas très convaincante) : la mission est décidée autour d’une table, le soir de la découverte du signal, par celui qui réussit à le décrypter et ses amis… Et ce sont eux qui partent dans la mission, lancée et financée par les Jésuites en grand secret (l’un des amis du « découvreur » est jésuite, et va convaincre son ordre) !!! Ce n’est pas là l’important, ni d’ailleurs la crédibilité scientifique de la façon dont ils vont voyager.

Un seul rescapé, Emilio Sandoz (le fameux jésuite), revient sur Terre, quarante ans plus tard (et quinze ans pour lui, par la « magie » de la relativité et d’un voyage à une vitesse très élevée). Il est accusé, par la mission qui est allée le secourir de tous les maux (prostitution, meurtre d’enfant). Il est dans un état de santé pitoyable (grande faiblesse, scorbut, mains mutilées) et est isolé par la compagnie des Jésuites pour le protéger des médias. L’ordre veut de plus l’interroger pour savoir exactement ce qu’il s’est passé là-bas. Le roman raconte en parallèle l’interrogatoire d’Emilio et le déroulement de la mission.

L’auteure le dit elle-même, son intention était d’écrire une allégorie des grands voyages du XVe et XVIe siècle, quand des Européens ont détruit des civilisations en pensant leur apporter la modernité et la foi catholique ! Dans le cas de la mission sur Alpha du Centaure, malgré l’intention de prudence des protagonistes, les dégâts n’en seront pas moindres.

La plus grande qualité du roman, ce sont ses personnages. Complexes et attachants, ils sont au premier plan du roman, et lui évitent la froideur qu’ont certains romans de hard science. Peut-être est dû aussi que le matériel scientifique du livre n’est pas de la science dure, mais des sciences plus « molles » : linguistique et sociologie. Sans oublier les réflexions théologiques.

Je ne pourrai pas dire que le livre se dévore d’une traite, parce qu’il est très dense. Mais il est très difficile de le lâcher une fois commencé. On ne peut espérer que cette nouvelle édition ait un succès (qui serait mérité) et permette à Actu SF de traduire et publier un autre roman de l’auteure situé dans le même univers (Children of God) jamais paru en France.

Roman traduit de l’Anglais (États-Unis) par Béatrice Vierne
Paru chez ActuSF – Collection Perles d’épice

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La Cité du Futur. Robert-Charles Wilson

Beaucoup de changements en ce printemps chez Denoël Lunes D’encre, dans le fond et dans la forme.

Gilles Dumay, qui porte la collection depuis sa création, s’en est allé vers d’autres aventures, et est remplacé par Pascal Godbillon, qui dirigeait déjà Folio SF. Il n’est donc pas tout à fait en terrain inconnu, et cumulera les deux fonctions. Espérons que la pérennité de la collection ne soit pas en question.

Changement graphique aussi, avec un nouveau « logo » pour Denoël, si on peut appeler ça logo. Trois point à la place du tréma au dessus du E, ces trois points se retrouvant sur la couverture, comme sur tous les bouquins de Denoël. Une sorte de charte unifiée pour reconnaître d’un coup d’œil la maison, je suppose.

Pour le moment, le programme prévu semble suivre son cours, et c’est avec un plaisir certain que j’ai découvert La Cité du Futur de Robert Charles Wilson dans ma boite aux lettres : malgré le départ de Gilles, l’attaché de presse de Denoël a conservé mon adresse, c’est bien sympa !

Ce n’est pas la première fois que Wilson traite du voyage dans le temps. Il y a avait eu À travers temps au début de sa carrière, que nous n’avons découvert France qu’assez tardivement. Un roman de bonne facture mais assez traditionnel dans sa construction et dans le traitement du thème.

La Cité du Futur est bien plus original. L’action se déroule dans le dernier quart du XIXè siècle, aux États-Unis, alors qu’est apparue quelques années auparavant, en plein desert, une cité construite par des gens venus du XXIè siècle.  On ne saura pas vraiment quelle est la technologie employée par ceux ci pour voyager dans le temps, s’ils l’ont eux même découverts ou s’ils l’ont appris d’autres personnes venant d’un futur encore plus lointain. Une chose est sûre, elle met en jeu la théorie des multivers, ce qui empêche tout paradoxe temporel : on ne voyage pas dans son propre passé mais dans un passé parallèle. On peut y tuer son grand père sans risque de disparaitre. Et si on élimine le grand père d’Hitler, c’est dans l’espoir d’éviter le nazisme à cette autre ligne temporelle, mais ça ne changera rien dans celle dans laquelle on est né.

L’histoire est racontée du point de vue d’un homme de ce passé, Jesse Cullum, qui est employé par les gens du futur pour aider au fonctionnement et à la sécurité de la cité. La cité est une initiative privée d’un homme d’affaire, August Kemp, dont le but est d’en faire une destination touristique pour les fortunés de son époque. L’installation est prévue pour cinq ans, pendant lesquels une sécurité maximale est nécessaire pour éviter de trop grands transferts techniques qui pourraient déstabiliser l’époque, plus encore que la simple présence de la cité ne le fait.

Dans ce contexte, Cullum est entrainé dans un tourbillon d’événements qui vont faire ressurgir son passé trouble.

La Cité du Futur est une sorte de Western, mâtiné de polar (ou vice-versa), le tout dans un contexte de science fiction. Robert Charles Wilson maîtrise son sujet et sa technique narrative. Il nous livre ici un roman efficace et addictif. Pour bien profiter du contexte, j’ai dû faire appel Wikipedia plusieurs fois, n’étant pas un spécialiste de l’histoire des États-Unis du XIXè siècle. Sans que ce soit gênant, c’était plus par curiosité pour voir dans quelle mesure le passé alternatif était altéré. La narration est menée tambour battant, ce qui incite à lire se roman très vite ! Robert Charles Wilson, une fois de plus, ne m’a pas déçu.

Roman traduit de l’Anglais (Canada) par Henry-Luc Planchat
Paru chez Denoël Lunes d’Encre

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Mes Vrais Enfants. Jo Walton

Après le magistral Morwenna, puis La Trilogie du Subtil Changement (qui m’avait moins convaincu), Lunes d’Encre poursuit la publication des œuvres de Jo Walton, avec un roman qui date de 2014 : Mes vrais enfants (elle a depuis écrit une trilogie “The Just City”).

Mes vrais enfants raconte la vie de Patricia, qui, au crépuscule de sa vie, se souvient de deux vies différentes, des vies qui auraient bifurqué lorsqu’elle a eu à répondre à l’homme qui lui demandait en mariage. Dans une vie, elle lui a dit oui, dans l’autre, elle lui a dit non. Dans les deux vies, elle a eu des enfants, quatre dans un cas, deux dans l’autre.

Pour elle, dans ses souvenirs du moins, ces deux vies sont tout autant réelles. Et son choix semble avoir eu aussi des conséquences sur le monde dans lequel elle a vécu. À partir de ce point d’inflexion de sa vie, les événements politiques ont eux aussi bifurqué. Vers un monde plus tragique dans la vie où Patricia a été la plus épanouie, vers un monde plus apaisé dans la vie la plus difficile pour elle.

Jo Walton nous livre non pas une uchronie, mais deux pour le prix d’une, puisque ces deux mondes ont des différences avec celui que l’on connaît. Et elle décline la notion d’uchronie sur un mode individuel, ce qui est assez original.

L’écriture de Jo Walton est toujours aussi limpide, et on dévore le roman jusqu’à sa dernière page très rapidement.

Reste que la magie qui m’a tant enthousiasmé dans Morwenna n’est qu’en partie présente. Les personnages sont attachants, mais la naïveté politique de l’auteur est parfois confondante (j’avais déjà eu cette impression dans Le subtil changement). Qui se double ici d’un certain manichéisme dans la peinture de ses personnages, la plupart n’ont que des qualités, quelques-uns l’inverse… Pour tout dire, à part Patricia, les autres personnages manquent un peu d’aspérités.

D’autre part, le choix de nous raconter ces deux vies parallèles (sur un mode narratif très factuel), plutôt que de nous les montrer, rend le lecteur parfois extérieur à ce qu’il lit.

Mes vrais enfants reste un très bon roman, mais pour moi, le chef d’œuvre de Jo Walton reste Morwenna. Parce que je pense que Jo Walton n’est jamais meilleure que quand elle reste dans le domaine de l’intime.

Roman traduit de l’Anglais (Pays de Galles) par Florence Dolisi
Paru chez Denoël Lunes d’Encre

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Le vide de la pensée (ou la mort du PS)

Parfois, essayer d’avoir un peu de mémoire ou consulter l’histoire récente n’est pas inutile. On entend en boucle que le PS est mort, comme si la présence d’un parti de la gauche dite “gouvernementale” dans le paysage politique français était une évidence immuable.

En 1969, ce n’est pas si vieux, la gauche n’était pas au second tour de l’élection présidentielle. Et le candidat de l’ancètre du PS, la SFIO, faisait 5%…

De 1958 à 1981, la gauche est restée à l’écart du pouvoir pendant 23 ans. Sous la IVème République, la SFIO, dirigée par Guy Mollet a sombré corps et âme (en oubliant cette dernière) dans la guerre d’Algérie. D’abord favorable à la paix et à l’indépendance,  Guy Mollet finit par s’enfermer dans une politique répressive, alors qu’il était Président du Conseil (le nom que l’on donnait alors au Premier Ministre). Je cite Wikipedia : “Le 12 mars 1956, il demande et obtient le vote des pouvoirs spéciaux incluant notamment la création d’une procédure de justice militaire de « traduction directe » sans instruction, la légalisation des camps d’internement créés en 1955 et l’attribution aux militaires des pouvoirs de police”. Ça ne vous rappelle rien ?

De ces renoncements, la gauche mit donc plus de 20 ans à se remettre. Et c’est François Mitterrand qui démarra un nouveau cycle, en créant un Parti Socialiste refondé en 1971 sur les cendres de la SFIO, un parti qui avait renoué avec ses valeurs, et qui porta, lors de son accession au pouvoir en 1981, des mesures aussi emblématiques que l’abolition de la peine de mort ou les lois Auroux sur le travail, piétinées par une certaine loi Travail en 2016… Le ver était pourtant déjà dans le fruit et dès 1983, le pseudo-réalisme reprit le dessus, mais au moins, ils avaient essayé, et quand même laissé une empreinte.

Si l’on veut à tout prix trouver une date de fin du cycle ouvert en 1971, il faudrait plutôt remonter à 2002, l’échec de Jospin à atteindre le second tour après une campagne calamiteuse , ou au pire 2005, dans la fracture béante entre pro et anti Traité Constitutionnel européen, fracture qui ne s’est jamais refermée. 2002 ou 2005 plutôt que 2017.

En 2017, le nouveau Guy Mollet a déjà terminé  son oeuvre… François Hollande a fait illusion en 2012, en prenant des accents Mitterrandiens pour réveiller un électorat de gauche (et de modérés exaspérés par le règne finissant de Sarkozy). Mais voilà, il était bien l’héritier de Mollet. Non content de placer au centre de son dispositif gouvernemental celui qui avait haut la main recueilli 5% des voix lors de la Primaire de 2011 sur une ligne très droitière – Manuel Valls ; non content de tourner le dos à toutes ses promesses de campagne (excepté le Mariage Pour Tous et que serait devenu cette mesure sans la pugnacité de Christiane Taubira ?) ; non content de piétiner l’accord signé avec les écologistes quelques mois plus tôt ou de refuser de constituer une large majorité avec toute la gauche ; il finit par se vautrer dans le tout sécuritaire (ça ne vous rappelle rien ? voir plus haut…). Et se croyant un destin de père de la Nation, il sortit du chapeau une mesure de Déchéance de Nationalité pour plaire au camp d’en face, ne comprenant même pas à quel symbole il s’attaquait.

Le vase était déjà bien plein, mais là, il a débordé. Il y avait eu les déclarations honteuses à propos des Roms de Manuel Valls deux ans auparavant, mais ça n’avait pas suffi, il fallait aller plus loin dans l’abjection.  Sans compter que le même Valls nous expliqua alors que tenter de comprendre le terrorisme, c’était l’excuser. Comme si le rôle d’un politique, son rôle premier n’était pas de penser.

C’est dans le vide de la pensée que s’inscrit le mal”, écrivait Hannah Arendt, auteur que l’on n’étudie manifestement pas en licence d’histoire (le diplôme universitaire de M. Valls, qui, par ailleurs “aime l’entreprise” sans n’y avoir jamais mis les pieds, mais c’est un autre problème).

Et c’est bien le vide de la pensée qui est devenu la norme de cette gauche de gouvernement. Vide de la pensée accompagnée, mais est-ce bien étonnant, d’une terreur de l’inconnu.

Après l’élection de Donald Trump, quelle a été la première déclaration de François Hollande ? “C’est une période d’incertitude qui s’ouvre”. Pas “je suis inquiet des valeurs que porte cet homme”, non ! L’incertitude ! Comment s’étonner alors que pendant 5 ans, on s’est obstiné à préférer les solutions connues qui ne marchent pas plutôt que l’expérimentation de solutions nouvelles. Comment s’étonner alors que l’on s’accroche à “la croissance qui lorsqu’elle reviendra nous apportera le plein emploi” plutôt qu’à la prise de conscience que ce monde là est fini. Terminé.

On peut penser ce que l’on veut de l’émergence de Benoit Hamon lors de la primaire du PS, organisée pour trouver un représentant socialiste à l’élection de  Mai 2017. Mais il y a un truc qu’on ne peut pas lui reprocher : il a au moins pensé le monde tel qu’il est.

Sur LCP cette semaine, un débat avait lieu sur le revenu universel. Les “anti” étaient entre autre représentés par un fidèle soutien de Manuel Valls : Christophe Caresche. Et on sentait bien que ce n’était pas possible pour lui d’admettre que l’équation croissance = emploi ne valait plus rien. D’abord parce que de croissance sans fin, il n’y aura plus, et parce que la croissance actuelle est de moins en moins riche en emploi. Quant à l’idée de revenu universel, on sentait bien que ce qui le dérangeait le plus, c’était son inconditionnalité. Comment ? Donner sans contrepartie ? Arrêter de faire l’aumône en gardant un pouvoir sur les gens ? Vous n’y pensez pas ! Il le disait, quasiment en ces termes. Car c’est peut-être la nouveauté. Les choses se disent. Le temps des faux-semblants est peut être terminé. Fillon ne cache plus son désir d’en finir avec le programme du Conseil National de la Résistance. Valls et ses amis préfereront la politique de la Terre brûlée plutôt que d’admettre que leur séquence est terminée. Et si l’un d’entre eux est très accroché à son petit pouvoir, il ira voir du côté de Macron s’il ne peut pas espérer conserver sa circonscription, sa place, et les avantages qui vont avec.

Macron… L’ex banquier anti-sytème. Tellement anti-système qu’il agrège autour de lui tous les bouffons médiatiques de ces dernières années, qui ont eu faux sur tout et ont été de formidables boussoles à indiquer le Sud ! Minc, Kouchner, Séguéla, Cavada… Ne manque plus que Tapie qui doit être dans les starting block.

L’histoire est faite de cycles. 1958-1981 : 23 ans.  2002 – ??? : combien d’années de traversée du désert. Mais à choisir, mieux vaut un PS qui s’effondre qu’un PS qui trahit et qui finirait par nous amener dans le mur de l’infamie. Si le PS doit mourir, qu’il meurt. Il faudra le temps qu’il faut, mais les idées, elles, ne meurent pas. Et il faut espérer que ceux qui les incarneront dans le futur plus ou moins proche auront en tête les leçons du passé.

En attendant, parce que c’est bon de rire un peu dans ces moments troublés, il me tarde de voir la tête de Manuel Valls après sa nouvelle défaite, dimanche soir.

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Latium T1 (et T2). Romain Lucazeau

Un premier roman de Science-Fiction de 800 pages, édité en deux volumes, voilà qui n’est pas banal. L’éditeur le présente comme « un space opera aux batailles spatiales flamboyantes et aux intrigues tortueuses ». (Ce même éditeur qui a eu la gentillesse de m’envoyer gracieusement un exemplaire du premier tome de ce roman).

Latium. Qu’on le veuille ou non, le titre évoque Illium, de Dan Simmons. Par assonance, et par proximité linguistique. N’est-ce pas ce qui a pu influencer les premiers lecteurs du roman d’à peu près tous faire référence au romancier américain, qui après une période incroyable qui a révolutionné le genre au début des années 90 (je devrais même dire les genres, puisqu’il a autant touché à la SF qu’au fantastique), s’est vautré dans un prosélytisme idéologique néoconservateur depuis justement Illium (et surtout sa suite, Olympos) ?

L’apport essentiel de Dan Simmons au Space Opera est le cycle d’Hypérion, et, pour ma part, je ne vois aucun rapport entre Latium et Hyperion ; et pas grand rapport non plus entre Latium et Illium.

Latium se déroule dans un lointain futur, dans lequel l’humanité a disparu, ravagée par un fléau que l’on découvrira (partiellement) au cours du premier volume et que je tairai donc. Des intelligences artificielles se sont réfugiées dans des nefs, immenses vaisseaux qu’elles dirigent à travers l’espace. Elles cherchent à protéger la partie de l’espace où a vécu l’homme, autour du système solaire, son écosystème en quelque sorte, des attaques de mystérieux barbares, des Extra terrestres qui cherchent à conquérir l’intégralité de la galaxie.

Les deux « personnages » principaux sont les IA Plautine et Othon, qui se retrouvent après une très longue séparation. Othon a créé de toute pièce une espèce, les hommes-chiens, une sorte de chiens dotés de conscience, qui le prennent pour un Dieu.

Pour être tout à fait complet, et parce que c’est un ressort essentiel du roman, les IA sont « dirigées »  par un ensemble de lois très proches des Lois de la Robotique d’Asimov, appelé ici le Carcan.

Bon, autant finir par le dire, je n’ai pas été emballé par Latium. Heureusement les 150 dernières pages de ce premier volume sauvent l’ensemble et m’ont donné envie de lire la suite, parce que les 250 premières ont été un véritable pensum. La mise en place est poussive, cérébrale à l’excès, et l’immense bataille spatiale qui se situe aux alentours de la 250e page n’en finit plus, et est d’une confusion sidérante. C’est alors que le roman se recentre sur Plautine et sa découverte des Hommes-chiens, on en sait un peu plus sur l’univers dans lequel le roman évolue, et, enfin, j’ai accroché. J’espère que le volume 2 continuera sur cette lancée…

Mais il risque de rester un problème : Latium est à la fois un space opéra et une Uchronie (là, désolé, mais pour étayer ma critique, je vais dévoiler certaines clés du roman, au moins ce qu’on en sait à la fin du premier volume). Et d’un point de vue uchronique, ça m’a fait doucement rigoler. J’ai beau faire un effort d’imagination, j’ai du mal à croire que, si l’Empire romain ne s’était pas effondré, deux mille ans après, on mangerait encore allongé, on aurait encore des villas avec atrium (non, sans déconner, parfois, on a l’impression d’une caricature à la Astérix, l’humour en moins), et on parlerait toujours latin et grec ! C’est pour moi le gros défaut du livre. D’abord, cet aspect uchronique est asséné sans explication pendant les deux cents premières pages, et lorsqu’enfin, par allusion, on comprend à peu près quel fut le point d’inflexion historique, on n’y croit pas du tout. Je n’y ai vu qu’un prétexte à la transposition dans le futur d’une tragédie gréco-latine.

Sans compter qu’au milieu de tant d’érudition, trouver à deux reprises un « autant pour moi », m’a donné envie de faire bouffer le dictionnaire de l’Académie française (dans son intégralité) à l’auteur et/ou aux correcteurs du livre. On pourra bien me rétorquer que cette vieille querelle (« au temps pour moi » / « autant pour moi ») n’est pas si tranchée que certains voudraient le dire, il y a toujours une solution : c’est ne pas utiliser cette formule peu élégante !

Il faudra voir, après la lecture du second volume, si une telle longueur était bien nécessaire. Je ne demande qu’à être surpris… Mais au vu du premier tome, le sentiment qui prédomine, c’est l’envie de quelque chose de plus ramassé.

L’ambition n’a pas manqué à l’auteur, loin de là, et je ne peux que m’incliner devant le courage d’y « être allé ». Mais pour moi, et dans l’attente du second volume avant de me prononcer complètement, le résultat n’est pas à la hauteur de cette ambition.

[Mise à jour du 23-11-2016]
Le tome 2 est dans la veine du premier, plutôt dans ses aspects positifs. Ce qui m’a dérangé dans le Tome 1 n’a bien sûr pas disparu, mais je l’ai pris comme quelque chose d’acquis, et ai essayé de passer outre (en particulier le caractère uchronique bancal).

Ce deuxième tome ne se contente pas de refermer toutes les pistes ouvertes dans le premier tome, il en ouvre d’autres. On découvre ainsi une nouvelle race intelligente “bio-ingenérée” à partir d’animaux terrestres sur Europe, une ligne narrative qui est d’ailleurs abandonnée aussi abruptement qu’elle est abordée.

Pour la petite anecdote, ce deuxième tome adopte le « au temps pour » au lieu du « autant pour » (p395) !

Au final, je pense toujours que le roman aurait plus être plus resserré, mais la lecture du deuxième tome, plus agréable que le premier a fait pencher la balance du bon côté.

Latium est d’une ambition suffisamment rare dans la littérature de SF française pour qu’elle soit soulignée, et encouragée.

Paru chez Denoël Lunes d’Encre

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L’Inclinaison. Christopher Priest

Avec L’inclinaison, Christopher Priest explore à nouveau son univers de l’Archipel du rêve, mais cette fois du point de vue d’un habitant du continent, sur lequel deux pays : Faiandland et la République de Glaund, se livrent une guerre sans fin.

Alessandro Sussken, compositeur de musique renommé, est citoyen de Glaund. Il habite une ville sur la côte. Les îles sont pour lui une source d’inspiration et exercent un fort pouvoir d’attraction. Il effectue son premier voyage dans l’Archipel lors d’une série de concert. À son retour, il constate que le temps a passé différemment sur les îles et sur le continent, et cette distorsion a bouleversé sa vie.

L’Inclinaison est une démonstration supplémentaire de la richesse de l’univers de l’Archipel du rêve. Il permet toutes les distorsions avec la réalité, toutes les libertés, et, en même temps, par petites touches successives, Christopher Priest lui donne une cohérence extraordinaire, sans pour autant empêcher un néophyte d’y trouver son compte : l’Inclinaison peut parfaitement se lire sans avoir rien lu d’autre de l’auteur.

Le problème du temps, dans cet univers, avait déjà été abordé par Priest, mais cette fois, il est au cœur du roman, et d’une façon vertigineuse. Au fond, Priest transpose le paradoxe des jumeaux de Langevin en dehors du voyage spatial, sans nécessité de vitesses relativistes, dans un monde (l’Archipel du rêve) dont la physique semble complètement déréglée par rapport au nôtre.

Christopher Priest rajoute une pierre à l’édifice de son œuvre déjà bien solide. Et pas la moindre. Tout à la fois réflexion sur l’Art, la guerre et le temps, c’est avant tout un texte brillant et subtil d’une grande poésie, empreint de nostalgie. Un bijou.

Roman traduit de l’Anglais par Jacques Collin
Paru chez Denoël Lunes d’Encre

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La horde du contrevent. Alain Damasio

Lire La Horde du Contrevent en 2016 n’est pas faire preuve, je le concède, d’un lien fort avec l’actualité littéraire. Paru en 2004 chez La Volte, puis en poche chez Folio SF en 2007, il fait partie des romans à l’excellente réputation dont je suis passé complètement à côté : il a quand même été vendu à 100 000 exemplaires, un chiffre à peine croyable.

C’est la lecture du premier chapitre du prochain roman d’Alain Damasio, dans l’anthologie Utopiales 15, qui m’a donné envie de me frotter aux écrits de l’auteur.

La Horde du Contrevent est un récit épique dont la particularité stylistique est d’être écrit selon plus de vingt points de vue, soit autant que de membres de cette Horde qui parcourt un monde étrange balayé par des vents violents, d’Aval en Amont, à contrevent, pour essayer de découvrir ce que personne encore (pas plus les trente-trois premières hordes avant eux que n’importe qui d’autre) n’a découvert : ce qu’il y a au-delà de l’extrême-amont, ce lieu mythique d’où l’on pense que naissent les vents.

Le procédé narratif est au début déroutant. Les points de vue alternent et sont signalés par un caractère typographique au début du passage en question, un caractère par personnage (le glossaire des personnages est reporté sur le rabat de la couverture). C’est même un peu agaçant, un peu comme quand les notes d’un ouvrage sont situées à la fin et qu’il faut faire des aller-retour incessants. Puis, au bout de vingt ou trente pages, les voix sont suffisamment caractérisées pour qu’on ait plus à aller voir de qui il s’agit. C’est là l’un des plus grands tours de force de l’auteur.

Les personnages sont tous attachants, fouillés, comme l’est en général le roman, qui donne une impression de grande densité. La langue est riche, travaillée, inventée parfois pour les besoins de ce monde étrange, sans jamais que cela ne gène la lecture.

J’ai eu un sentiment paradoxal, durant ma lecture : alors que l’histoire est passionnante, jamais ennuyeuse, que le livre est épais, mais pas plus que bien d’autres choses lues dans le passé, j’ai eu l’impression (vers le milieu du roman) que je n’avançais pas et que jamais je ne le terminerais. Et encore une fois, ce n’était pas de l’ennui, mais peut-être la nécessité de savourer ce roman assez doucement, pour essayer d’en capter toute la richesse.

La Horde du Contrevent est un grand récit d’aventures, fouillé et intelligent tout en restant fidèle à l’esprit des grandes fresques épiques à qui on pourrait le comparer.

Inutile de préciser que l’envie de visiter la littérature d’Alain Damasio est sortie renforcée de cette expérience.

Paru chez La Volte (disponible en poche chez Folio SF)

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L’homme qui mit fin à l’histoire. Ken Liu

Quelques mois après son lancement, Le Bélial enrichit la collection Une heure-Lumière avec deux nouveaux titres, dont le très attendu L’Homme qui mit fin à l’histoire, de Ken Liu. Très attendu parce que Ken Liu est devenu un auteur majeur dans le domaine du texte court depuis la parution de son recueil La ménagerie de Papier.

À partir d’un concept de voyage dans le temps basé sur les théories quantiques, Ken Liu développe une véritable réflexion sur la mémoire, la vérité et l’histoire. Le propos science-fictif, même s’il est assez original, n’est que le prétexte à parler d’un fait historique assez méconnu en occident : l’unité 731, une unité de recherche militaire tenue par les Japonais lors de l’occupation de la Chine depuis les années 30 jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans lequel des expérimentations biologiques sur des prisonniers, d’une monstuousité inimaginable, ont eu lieu.

Le procédé du voyage dans le temps imaginé par Ken Liu permet à un témoin de visiter une période, sans pouvoir intervenir sur elle. Mais cette visite n’est possible qu’une fois, pour une période donnée. Du coup, l’information que l’on a de cette période est soumise à la subjectivité du témoin qui y est envoyé. Sans parler de la possibilité de falsifier l’histoire. Imaginons que l’on envoie Faurisson en voyage en 43 à Auschwitz, et qu’il revienne nous dire que tout y était clean… Personne d’autre après lui ne pourrait aller vérifier.

L’unité 731 est la première cible du procédé, mais le choix d’y envoyer des gens ayant des liens familiaux avec les victimes crée une polémique à propos de la question de l’objectivité des témoins. D’autre part, l’invention du procédé et son expérimentation créent une grave tension internationale entre la Chine, le Japon et les États-Unis (accusés dès la fin de la guerre d’avoir utilisé des résultats des expérimentations).

Pour nous raconter cette histoire, que j’espère n’avoir pas trop déflorée, Ken Liu adopte un procédé inhabituel. La novella est en quelque sorte le script d’un documentaire à propos de ce voyage dans le temps et de l’unité 731. C’est donc une alternance d’entretien avec des témoins : collègues des scientifiques à l’origine de la découverte du procédé, famille des victimes du camp, de description des tensions internationales, ainsi que, bien entendu, les témoignages des « voyageurs »…

Il est hallucinant qu’en si peu de pages, Ken Liu arrive à écrire un texte d’une telle densité et d’une telle portée. C’est tout simplement largement au-dessus de tout ce que j’ai pu lire récemment. J’ai vraiment hâte de découvrir ce que donne la plume de Liu sur un texte plus long, j’espère que l’on aura pas à attendre trop longtemps la traduction de sa série de romans The Dandelion Dynasty (deux volumes à ce jour).

La collection Une Heure-Lumière existe depuis à peine plus de six mois et déjà, on se demande comment on a fait à vivre sans !

Novella traduite de l’anglais (États-Unis) par Pierre-Paul Durastanti
Paru aux Éditions Le Bélial
– Collection « Une Heure Lumière »

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L’infernale comédie. Mike Resnick

ActuSf vient de rééditer en un seul volume les trois romans de Mike Resnick du cycle de l’Infernale Comédie, précédemment édité en trois volumes dans la défunte collection Présence du Futur de Denoël, en 1998.

Pour l’occasion, l’éditeur a misé sur un très bel ouvrage, cartonné avec jaquette, et beau papier bouffant, qui donne à l’ensemble le volume d’une bible ou d’un dictionnaire bien qu’il ne fasse « que » 670 pages. Cet effort justifie pleinement le prix de trente euros, dans l’absolu un peu élevé.

Dans ces trois romans, Resnick transpose dans le futur et sur d’autres planètes, l’histoire de la colonisation de trois pays Africains : le Kenya, le Zimbabwe et l’Ouganda. La puissance coloniale, dans ce futur hypothétique, c’est l’Empire humain, qui colonise des planètes sur lesquelles préexistent des populations autochtones.

Les histoires des trois planètes sont singulières, mais la colonisation finit toujours de façon dramatique pour les mêmes raisons :  choc des cultures, différentiel d’évolution technologique, tentative d’imposer un modèle de développement économique par la puissance coloniale, corruption, armement des autochtones pour favoriser les guerres entre eux.

Resnick a respecté scrupuleusement l’histoire coloniale des trois pays. Le tableau est une violente charge anti-coloniale. Aussi bonnes soient les intentions de départ, à la fin, c’est le sang et la misère. Alors la puissance coloniale s’en va, après avoir créé des situations inextricables, et rendu ces pays (pardon, planètes) incapables de gérer la nouvelle situation.

Dans les différents romans, Resnick insiste sur le point de vue des premiers colons, qui pleurent, après que les dégâts soient devenus irrémédiables, leur paradis perdu. Oubliant un peu vite qu’ils ont ouvert la voie au désastre.

L’écriture de Resnick est sans fioriture mais efficace. La structure des trois romans n’est pas identique (point positif qui permet de renouveler le plaisir de lecture). Dans Paradis, le premier, le personnage principal et narrateur est un observateur extérieur. Dans Purgatoire, la narration se rapproche d’un reportage. Enfin, dans le troisième, Enfer, le récit suit deux personnages : Susan Beddoes, qui a exploré la planète en vue de sa colonisation, et Arthur Cartright, qui va tenter de trouver une solution différentes, pour ne pas reproduire les erreurs passées de la colonisation. Malheureusement sans succès.

Le constat est sombre, difficile de trouver la moindre note d’optimisme dans les récits de Resnick, ni le moindre grain d’espoir en la nature humaine.

Romans traduits de l’Anglais (États-Unis) par Luc Carissimo
Paru chez ActuSF

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Arslan. M. J. Engh

Arslan, de M. J. Engh n’est pas tout à fait un roman comme les autres. Le fait qu’il soit resté inconnu sous nos latitudes francophones durant quarante ans malgré l’aura qui l’entoure en est un des signes. Mais cette anomalie éditoriale est réparée grâce à la collection Lunes d’Encre des éditions Denoël.

Le propos de base du roman est un classique de la politique-fiction. Il s’agit de la chronique de la période qui suit une invasion des États-Unis. Sauf que… En fait, cette invasion est loin d’être le sujet principal du livre. L’épisode est mis en place au tout début du roman, en une demi-page, et l’auteure ne reviendra dessus que deux cents pages plus tard.

Arslan est un général Turkistanais (le Turkistan est une province chinoise, devenue indépendante dans le roman) qui, par un tour de passe-passe géopolitique, devient commandant en chef des armées américaines. Pour une raison assez obscure, il débarque à Kraftville, petite ville de l’Illinois.

Malgré la présentation abrupte de la situation et son invraisemblance, la première grande force du roman est qu’on y croit. Plus exactement, le lecteur est dans un tel état de sidération, similaire à celui que ressentent les habitants de Kraftville, qu’il accepte les faits.

Une autre particularité du roman tient au fait qu’alors que son contexte soit une sorte de conflagration mondiale, il est totalement centré sur un endroit minuscule, qui, se retrouvant coupé du monde, ne peut que conjecturer sur ce qu’il advient du reste de la planète. D’ailleurs, on ne sait jamais vraiment ce qui se passe ailleurs qu’à Kraftville. Même lorsque Arslan et l’un des personnages retournent au Turkestan, il ne transpire au travers du récit que des détails allusifs.

Engh centre son roman sur les personnages, trois d’entre eux en particulier : Arslan, bien sûr, et les deux narrateurs en alternance : Franklin Bond et Hunt Morgan. Le premier est le principal du lycée du coin. Le second un de ses élèves d’une douzaine d’années au début du récit. Lors de l’arrivée d’Arslan dans la ville, il viole Hunt Morgan, un acte de cruauté pure pour montrer l’état de soumission dans lequel il compte bien placer la population.

Le récit de Bond est factuel, assez classique. Celui de Morgan est carrément dérangeant. Au moment où il raconte son récit, c’est un jeune homme brisé, mais qui éprouve en même temps une fascination et une attirance pour son bourreau.

Quant à Arslan, c’est un personnage hors-norme. Il n’est pas seulement le « grand méchant » qu’on aimerait voir. Le regard qu’en a Hunt Morgan est biaisé par une espèce de syndrome de Stockholm, mais même Franklin Bond nous dépeint quelqu’un d’ambivalent. Ce qui participe aussi au malaise que l’on éprouve parfois à la lecture du livre.

Comme Robert Merle en son temps dans Malevil, Engh dépeint une micro société coupée du Monde, qui doit réapprendre à vivre simplement, sans technologie. C’est un autre axe important du roman.

Les deux parties racontées par Hunt sont les plus fortes, parce que son personnage est particulièrement poignant. Il a un regard très lucide sur lui même, il se dégage de ces passages un désespoir insondable.

Arslan est un grand roman. Quarante ans après, il n’a pas pris une ride. Sa lecture est durablement marquante.

Roman traduit de l’Anglais (États-Unis) par Jacques Collin
Paru chez Denoël Lunes d’Encre

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Infinités. Vandana Singh

Longtemps que l’on n’avait pas vu un recueil de nouvelles chez Lunes D’encre. Ce retour dans le format court (qui je l’espère ne sera pas sans lendemain, mon petit doigt me dit que cela va dépendre de l’accueil commercial de ce recueil) se fait avec une auteure peu connue, Vandana Singh, de nationalité indienne. La parution du recueil Infinités est précédée d’une excellente réputation, et l’on a pu, en France, constater qu’elle n’était pas surfaite en lisant deux de ses nouvelles dans la défunte revue Fiction.

C’est dans une nouvelle traduction de l’excellent Jean Daniel Brèque qu’elles sont toutes présentées ici. Avec une superbe couverture de l’incontournable Aurélien Police.

L’écriture fine et ciselée de Vandana Singh s’accorde à merveille aux thématiques de ses nouvelles, aux frontières du fantastique, de la science-fiction, peut-être dans les interstices intergenres, teintées de poésie et empreintes de cette culture indienne éloignée de la nôtre. Les textes sont courts, mais denses, jamais anodins.

Dix nouvelles, un court essai. Le recueil est homogène et il n’y a vraiment rien à jeter. Mention vraiment très bien pour deux d’entre elles : Infinités et Le tétraèdre.

Infinités raconte le destin d’un professeur dans une modeste école, passionné par les mathématiques, destin chamboulé à la fois par la pauvreté et la guerre.

Le tétraèdre est un texte de SF ayant un sujet un peu similaire aux Chronolithes de R. C. Wilson, mais c’est surtout un prétexte pour évoquer la société indienne avec ses classes sociales hyper compartimentées.

Le recueil se termine avec un court texte sur l’importance aux yeux de l’auteur de ce qu’elle appelle la fiction spéculative (c’est ainsi qu’elle nomme les littératures de l’imaginaire, une part d’entre elles en tout cas). Passionnant : « La fiction spéculative possède un potentiel révolutionnaire sans doute unique. »

Pour résumer, un excellent recueil, qui donne envie de connaître le reste de l’œuvre de l’auteur (elle a écrit un roman).

Recueil de nouvelles traduit de l’Anglais (Inde) par Jean-Daniel Brèque
Paru chez Denoël Lunes d’Encre

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Avenue des mystères. John Irving

Cela fait bien des années que l’on attend le grand roman de John Irving, celui qui pourrait égaler Une prière pour Owen ou retrouver la fraîcheur de ses romans d’il y a vingt-cinq ans. Le dernier n’était pas mauvais (voir ici), mais il y manquait quand même une grâce, une légèreté, dans la style, dans la construction.

Autant le dire de suite, ce n’est pas avec Avenue des mystères que ces qualités sont réapparues.

John Irving situe son roman à la fois au Mexique (lieu de l’enfance du narrateur) et en Asie du Sud-Est, où il effectue un voyage. Juan-Diego est né dans la banlieue d’Oaxaca, aux abords de la décharge publique où travaillent sans cadre légal de nombreux adultes et enfants. Il y vivait avec sa sœur, Lupe, jeune fille extra-lucide et qu’un défaut d’élocution rend incompréhensible aux autres, sauf à Juan-Diego. Durant ce voyage, Juan Diego se remémore son enfance, parfois en rêve, parfois tout éveillé.

Au fond, tout y était pour que John Irving nous délecte d’un de ses récits picaresques aux personnages loufoques et attachants. Mais à force de vouloir faire trop « débridé », comme le dit la 4° de couv, on en arrive à un récit parfois confus. Les problèmes principaux de ce quatorzième roman de John Irving sont liés à des choix narratifs plus que discutables :
• le fait que Juan Diego se rappelle son passé lors de rêves oblige à avoir un personnage qui somnole souvent, trop souvent… Il finit par être complètement éthéré !
• la petite sœur de Juan Diego a un problème d’élocution la rendant incompréhensible, seul son frère décrypte ce qu’elle dit. Si cela crée quelques quiproquos bien vus, cela nous donne aussi une liste sans fin de « elle attendit que son frère traduise », « Juan-Diego fut incapable de traduire », « mais bien sûr Juan-Diego fut le seul à comprendre » etc… (Trois phrases piquées en ouvrant le livre au hasard)
• des thèmes légèrement abordés mais largement sous exploités voire carrément laissés en plan en cours de route : les fantômes que voit Juan Diego ; les deux personnages féminins qu’il croise dans son périple en Asie (sont-elles réelles ?)

Et pourtant, à plusieurs reprises, la capacité de John Irving à rendre loufoques les situations les plus tristes, ses personnages d’enfants diablement attachants, sa profonde humanité surgissent et on regrette encore plus les défauts.

Ceux qui n’ont jamais lu cet auteur devront absolument passer leur chemin, il a tellement à découvrir avant de s’attaquer à celui-ci… Quant aux aficionados, ils se consoleront peut-être avec quelques très bons passages. Mais globalement, on pourra se passer de lire cette Avenue des mystères, en gardant espoir que dans quelques années, le prochain roman d’Irving sera à la hauteur de ses plus grands livres.

Roman traduit de l’Anglais (États-Unis) par Josée Kamoun et Olivier Grenot
Paru au Seuil

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Une fleur sur un long chemin aride

Écrire est un long chemin solitaire. Il y a déjà le cheminement tortueux qui amène à l’écriture. On a beau ressentir au fond de soi le besoin d’écrire, physiquement je veux dire, il est difficile de s’échapper du destin tracé par l’inconscient collectif et familial, lorsque celui-ci est à mille lieues de toute carrière artistique. Pour ma part, il m’a fallu vingt ans. Mais, une fois ce chemin trouvé (ou retrouvé), il se pose la question de la qualité de ce qu’on écrit. Première tentation (et erreur absolue) : faire partager à son entourage ses premiers fragments balbutiants. Et penser qu’on va trouver auprès d’eux un conseil avisé. J’ai appris durant ces dernières années à dire non. Mon panel de lecteurs-tests s’est réduit à trois personnes. Trois lecteurs exigeants, bienveillants (je me doute bien qu’ils ne me diront jamais que tel ou tel texte est bon à jeter, mais je sais aussi qu’ils ne sont pas complaisants), qui me permettent de me confronter avec ce que j’écris, sur le fond, sur la forme, et qui m’épargnent les « j’aime, j’aime pas, j’ai adoré, tu devrais l’envoyer à l’éditeur de Marc Lévy, tu n’as pas essayé l’auto-édition ? ». Il m’en a fallu des claques et des espoirs sans lendemains pour comprendre ça. Je me souviens par exemple de l’attente interminable qu’un auteur déjà publié (un ami d’un ami d’un ami) me fasse un retour sur mon premier roman. Et surtout de la frustration lors de la réception de ses commentaires. J’espérais y trouver une clé, ou bien une assurance, que sais-je… Et je n’y trouvai rien d’exploitable. Sinon qu’il n’avait pas bien aimé mais n’osait pas vraiment me le dire… Je pourrais multiplier les exemples à l’infini.

Bref, depuis, la réponse est immuable : tu pourras lire mes textes lorsqu’ils seront publiés. Et s’ils ne le sont jamais ? C’est qu’ils ne méritent pas d’être lus ! Même si c’est infiniment frustrant quand on y croit (et il faut bien y croire soi-même pour continuer inlassablement).

Tout ça pour dire que ce moment est venu : pour la première fois, un de mes textes a reçu une reconnaissance professionnelle. La Revue Rue Saint-Ambroise a sélectionné une nouvelle que je leur ai envoyée pour publication sur leur site Internet, dans la rubrique « Nouvelle de la semaine ».

La nouvelle s’appelle : Une photo. Le lien est ici.

Après des années à écrire sur ce blog le bien ou le mal que je pensais des textes des autres, je passe de l’autre côté du miroir. Et, de façon toute préventive, je préfère avertir : qu’on ne me dise pas « tu es bien mal placé pour critiquer vu ce que tu écris »… J’ai toujours pensé qu’on pouvait parfaitement juger de la qualité gustative d’un pain sans avoir aucune notion de boulangerie 🙂

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Une demi-couronne. Jo Walton

Tout avait pourtant si bien commencé pour la trilogie du Subtil Changement, de Jo Walton, avec Le Cercle de Farthing (chroniqué, ici) ; pas trop mal continué avec Hamlet au Paradis (c’est ). Puis arriva le dernier tome : Une demi-couronne. Et lorsqu’on ferme ce volume, on aperçoit dans le ciel de la littérature les volutes de fumée funestes de la fusée Challenger qui vient d’exploser en vol…

Ce troisième volume se déroule en 1960, soit dix ans après les deux premiers. On retrouve l’inspecteur Carmichael, fil rouge des trois livres, à la tête de la police politique d’un Royaume d’Angleterre qui s’est enfoncé dans un fascisme de plus en plus net. Le personnage féminin en contrepoint (qui selon le même procédé que les deux autres volumes, est un narrateur à la première personne du singulier quand les aventures de Carmichael sont narrées à la troisième personne) est cette fois la fille de l’ancien adjoint de l’inspecteur, Elvira, dont Carmichael est devenu le tuteur.

Le gros problème de ce troisième volume, c’est qu’à l’inverse des deux autres, l’uchronie politique n’est pas au second plan. Et l’auteur se fracasse sur cet obstacle, parce que lorsqu’on approche trop près des rouages de son Angleterre uchronique, la construction s’effondre comme un château de carte. Entre naïveté et invraisemblances, entre grosses ficelles et situation téléphonées, les pauvres personnages se débattent sans jamais arriver à surnager. L’impression qui domine c’est que l’intrigue est trop vite bâclée. En quelques jours, Elvira passe de la cruche naïve à une forte jeune femme dotée d’une forte conscience politique (et particulièrement « politiquement correcte » : sa découverte que les juifs sont des gens comme les autres est particulièrement gênante !). Quant à l’inspecteur Carmichael, il a perdu toute subtilité. Et jetons un voile pudique sur la description de ses sentiments, totalement ridicules.

Pourtant, le roman ne commence pas si mal. Jo Walton réussit à installer un vrai malaise en décrivant cette société qui s’est accommodée d’un fascisme quotidien. Mais très vite, la mécanique se déglingue, et si le malaise persiste, c’est parce qu’on aurait préféré ne pas assister à un tel naufrage.

Quand on pense que la trilogie s’appelle Le subtil changement, on frise l’hilarité hystérique. Non, décidément, ce troisième volume est aussi subtil qu’un épisode de Benny Hill (pour rester dans les références d’outre-Manche), quand je comparais le Cercle de Farthing à Agatha Christie et aux Vestiges du jour

Pour terminer en beauté, la conclusion franchit encore un seuil dans la naïveté et le ridicule (la rencontre entre Elvira et la Reine – leur dialogue, my god, leur dialogue… ; le discours de la Reine à la télé ; et la fin expédiée en trois pages).

La réputation du prochain roman de Jo Walton à être traduit sous nos latitudes, une autre uchronie, est excellente. J’espère vivement que cela effacera ce faux-pas, Jo Walton a montré qu’elle méritait bien mieux que ce qu’elle nous montre dans Une demi-Couronne

Roman traduit de l’Anglais (Pays de Galles) par Florence Dolisi
Paru chez Denoël Lunes d’Encre

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Vostok. Laurent Kloetzer

Vostok, le nouveau roman de Laurent Koetzer, nous conduit dans l’endroit le plus dépaysant qu’il est possible d’atteindre sans quitter notre planète, le lieu le plus froid et inhospitalier de celle-ci : la base de Vostok, en Antarctique. Exploitée pendant des années par les Soviétiques puis les Russes, elle est fermée depuis vingt ans lorsqu’un groupe de petits malfrats chiliens y met les pieds. Ils sont persuadés que l’ADN d’un organisme microscopique habitant l’immense lac situé à des centaines de mètres de profondeur sous la glace a été utilisé comme code secret d’un programme informatique. Et son accès est synonyme de pouvoir et de richesse.

L’équipage se compose de Juan (le jeune chef de la bande), sa sœur Léo, quelques fidèles de Juan, et Vassili, un ancien de la base — il en connaît les secrets — que Juan a enrôlé de force.

Le roman se situe dans le même futur que l’Anamnèse de Lady Starr (un roman qui a une excellente réputation, auquel, pour ma part, je n’ai pas du tout accroché). L’Anamnèse racontait les conséquences de l’effondrement de tous les systèmes informatiques mondiaux. Dans Vostok, cette catastrophe survient alors que l’équipage décrit plus haut est coincé au cœur de la base Vostok en plein hiver.

Vostok est une formidable réussite. C’est un roman haletant, dense, passionnant de bout en bout qui distille une ambiance particulièrement réussie, un effet de claustrophobie teinté de mystère fantastique. Quant au dernier quart du roman, il ouvre des perspectives vertigineuses. L’histoire prend alors une coloration science-fictive plus marquée, tout en conservant son rythme effréné.

Après ses deux romans écrits en collaboration avec son épouse Laure (Le deuxième L du « symbionime » [comme l’appelle l’éditeur en 4 ° de couv] LL Kloetzer), qui privilégiaient un peu trop, selon moi, l’expérimental ou l’exercice de style, Laurent Kloetzer a trouvé, avec Vostok le juste équilibre : ce n’est pas un nième roman qui se fond dans la masse des parutions, on y trouve une patte et un style tout à fait original, mais la narration est plus classique, et c’est très bien ainsi.

Roman paru chez Denoël Lunes d’Encre

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Cœurs perdus en Atlantide. Stephen King

Tout le monde connaît Stephen King, surtout pour ses romans d’horreur. Il se trouve que j’ai mis très longtemps à lire cet auteur, qui ne m’attirait pas spécialement, et je l’ai abordé de façon peu habituelle, avec la lecture, à sa parution de son « feuilleton » La Ligne Verte (il y a tout juste vingt ans). Et c’est l’allusion à La Tour Sombre dans la préface de la Ligne Verte qui m’a incité à lire cette longue saga (qui n’était à l’époque composée que des trois premiers volumes, sur huit).
J’ai ensuite fait plusieurs essais de lectures de ce qui a fait la célébrité de Stephen King : ses livres d’horreur. Et ils ne m’ont jamais convaincu. Que ce soit Ça (bien trop long) ou Misery.

Cœurs Perdus en Atlantique est un fix-up assez atypique dans l’œuvre de King. La première longue nouvelle a un lien tenu avec La Tour Sombre, mais l’essentiel du livre, sa raison d’être, c’est une peinture des années Soixante, cette décennie que King appelle l’Atlantide, parce que ce que représente cette décennie a sombré lors des décennies qui ont suivi, comme le continent mythique a sombré dans les flots.

Trois grandes époques : l’enfance, l’adolescence, l’âge adulte. Dans le premier texte, en 1960, Bobby et Carol sont enfants. Dans le second, en 1966, on retrouve Carol en personnage secondaire, à l’université. Puis c’est un saut de presque vingt ans, jusqu’en 1983, avec un texte court centré sur un des personnages secondaires du premier texte. Les deux derniers textes sont situés en 1999. On y retrouve le meilleur ami d’enfance de Bobby à l’occasion des funérailles d’un de ses compagnons d’armes au Vietnam, et enfin les retrouvailles, plus de trente ans après, de Carol et Bobby.

Attardons-nous sur les deux premiers textes, les plus longs.

Dans le premier, Bobby, qui vit avec sa mère, voit sa vie bouleversée par l’arrivée d’un vieux monsieur, Ted. Celui-ci loue la chambre à l’étage de la maison de Bobby, et peu à peu, l’enfant et le vieil homme se lient d’amitié, d’abord autour d’une passion commune pour la lecture. Ted est un homme étrange, qu’on pourrait penser un peu dérangé. Il charge Bobby de surveiller le quartier pour lui, à l’affût de bizarreries telles que des annonces pour animaux perdus, des marelles affublées d’étoiles ou d’étranges personnes habillées de couleurs criardes. Bobby pense à un jeu, mais finira par découvrir que ce n’en est pas un : Ted est réellement traqué par ceux qu’il appelle « les crapules de bas étage ». Dans ce texte, Stephen King déploie deux de ses talents les plus admirables : la peinture de l’enfance et la nostalgie douce amère pour les années 60 (que l’on retrouvera par exemple dans 22/11/63). Le personnage de Ted est un lien subtil avec la saga de la Tour Sombre (qu’il n’est absolument pas nécessaire d’avoir lue pour apprécier le texte). Il représente aussi le monde invisible, la partie cachée de l’iceberg, que l’on sent bien plus vaste que le monde tel qu’on le voit avec nos yeux.

Dans le second texte, Chasse-cœurs en Atlantide, fini l’insouciance de l’enfance. On est à l’université, en 1966, avec une épée de Damoclès au-dessus de chaque garçon : l’incorporation pour aller au Vietnam. Pete est un garçon plutôt brillant, mais un vent de folie va souffler dans son étage de la cité universitaire. Plutôt que de consacrer un temps raisonnable à leurs études, la plupart des garçons vont jouer de façon frénétique au Chasse-Coeurs (le jeu de « la dame de pique » que l’on trouve aujourd’hui sur tous les PC). Dans le même temps, certains événements vont obliger les protagonistes à se positionner sur la guerre du Vietnam. Pete rencontre Carol et vit son premier amour. Texte tout aussi fort émotionnellement que le premier, avec la composante politique en plus.

Les trois dernières nouvelles, plus courtes, sont plus anecdotiques, mais elles donnent sa cohérence à l’ensemble, et permettent de boucler la narration.

Stephen King n’est pas tendre avec sa génération. Si l’Atlantide a sombré, c’est, pour lui, surtout à cause des gens qui y ont habité.

Dans l’avant-dernière nouvelle, l’ancien lieutenant au Vietnam de Sully (l’ami de Booby dans le premier texte) l’interpelle ainsi :

Nous avons rempli nos portefeuilles en jouant à la bourse, nous sommes allés de salles de gym en séances de thérapie pour ne pas perdre le contact avec nous-mêmes. L’Amérique du Sud brûle, la Malaisie brûle, le putain de Vietnam brûle, mais nous avons tout de même fini par surmonter cette haine de soi, nous avons tout de même fini par être contents de nous, alors tout va bien.

Puis, plus loin :

Il y a des tas de gens de notre âge que j’aime bien, pris individuellement. Mais je n’ai que mépris et dégoût pour cette génération elle-même. L’occasion nous a été offerte de tout changer. Elle nous a vraiment été offerte. Au lieu de quoi, nous avons préféré les jeans de haute couture, des billets pour aller écouter Mariah Carey, les points de réduction pour prendre l’avion, le Titanic de James Cameron, et les comptes épargne-retraite. La seule génération qui se rapproche de la nôtre, pour ce qui est de ne rien se refuser, en termes d’égoïsme pur, est celle qu’on a appelée la génération perdue, la génération des années vingt ; mais au moins, eux avaient la décence de ne jamais dessoûler. Nous n’avons même pas été capables de faire cela. On est vraiment nuls, mon vieux.

Cœurs perdus en Atlantide, c’est un peu un message subliminal que nous envoie Stephen King : si j’avais voulu, j’aurais pu être l’un des grands romanciers de mon époque, au moins l’égal d’un John Irving. À titre personnel, et sans aucun mépris pour ce qu’il a écrit par ailleurs (d’autant que je suis un inconditionnel de la Tour Sombre), je regrette un peu qu’il n’ait pas produit plus d’œuvres dans cette veine. Quinze ans après sa parution, cela reste un excellent bouquin dont la relecture a été un grand plaisir.

Roman traduit de l’Anglais (États-Unis) par William Olivier Desmond
Paru aux Éditions Albin Michel (disponible au Livre de Poche)

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Les Affinités. Robert Charles Wilson

Retour en fanfare pour la collection Lunes d’Encre, de Denoël, qui n’avait plus sorti de nouveaux titres depuis octobre 2015, avec un nouveau roman de Robert Charles Wilson, toujours un événement.

Les Affinités sont des groupes de gens mis en relation par une société commerciale, à partir des résultats de tests que l’on passe volontairement. Ces tests classent les gens en 22 catégories, en réalité 23, puisqu’il arrive qu’on ne puisse être classé dans aucune d’entre elles. On ne peut à ce moment-là intégrer aucune Affinité.

Adam, le personnage principal du roman passe le test à un moment difficile de sa vie. Il va être obligé d’arrêter ses études qui étaient financées par sa grand-mère, lorsque celle-ci tombe malade, et retourner vivre chez ses parents, avec qui il n’est pas en bons termes. Mais il réussit le test, et intègre une « tranche », un groupe d’une trentaine de personnes appartenant tous à la même Affinité. C’est une révélation pour lui. Il trouve un lieu où règne la bienveillance, où il se sent compris comme jamais il ne l’a été. Il se rend compte qu’il a trouvé ce qu’il cherchait depuis toujours sans jamais réussir à le formuler. Et, en plus du relationnel, il trouve aussi dans ce « système » des solutions à ses problèmes financiers. Le principe des Affinités va se développer dans les années qui viennent, jusqu’à interférer sur la géopolitique mondiale. Le roman se déroule sur plusieurs années, durant lesquelles on suit en parallèle l’évolution de la vie d’Adam et le déploiement du système des Affinités dans le monde entier.

On retrouve dans Les Affinités toutes les qualités des meilleurs romans de Robert Charles Wilson. L’humanisme, les personnages attachants, et cette touche de mélancolie déjà présente des Spin ou Blind Lake. Wilson me semble pessimiste sur la nature humaine, mais optimiste sur le fait que certains d’entre nous peuvent se dépasser et faire en sorte qu’il reste une chance d’éviter le chaos. Il l’illustre à nouveau avec ce roman. Au passage, il règle son compte, au travers d’Adam, à la cellule familiale présentée comme fortement toxique (ce qui n’est pas nouveau pour l’auteur, la figure du père tyrannique et vexatoire était déjà présente dans Spin).

Le concept des Affinités me semble très original. On a tous des raisons différentes d’aimer la science-fiction. Certains mettent en avant le fameux « sense of wonder », l’émerveillement devant le voyage dans l’espace ou la découverte d’une vie extraterrestre. Je n’y suis pas insensible non plus, mais je crois qu’au fond, ce qui me plaît le plus dans la SF, c’est le brassage d’idées nouvelles. Et, à ce titre, Les Affinités est pour moi la quintessence de ce que j’aime dans la SF.

Pour ne rien gâcher, Wilson nous a évité la tendance à l’embonpoint dans laquelle se vautrent certains. Le roman est assez court, au bénéfice du rythme.

Une toute petite réserve, qui je pense, vient de la traduction : le texte manque parfois d’élégance. Certaines formules sonnent mal, certaines phrases n’en finissent pas, les conjonctions sont parfois bizarres. Je n’ai pas lu le texte en VO, et du reste, je ne crois pas avoir la capacité de juger de l’élégance d’un texte anglais. Mais, par exemple « son sixième sens à gays » (p260), c’est juste pas possible !

Cette réserve ne doit en rien être un obstacle à la lecture de ce très grand roman, dans lequel Robert Charles Wilson déploie toutes les qualités qu’on aime chez lui, tout en sortant de sa zone de confort en explorant un thème très original.

Roman traduit de l’Anglais (Canada) par Gilles Goullet
Paru chez Denoël Lunes d’Encre

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Le Choix. Paul J. McAuley

Le Choix, de Paul J. Mc Auley est le quatrième volume de la collection Une heure lumière des éditions du Bélial.

On connait en France de nombreux romans de Paul J. Mc Auley, auteur britannique publié chez Robert Laffont, dans la prestigieuse (et malheureusement en état de mort clinique) collection Ailleurs et Demain. Glyphes et Les Diables Blancs, en particulier, si je devais citer ceux qui m’ont le plus marqués.

Le Choix raconte l’histoire de deux adolescents un peu aventureux, Lucas et Damian, qui partent sur les lieux où s’est échoué, selon la rumeur, un « dragon », c’est à dire probablement un vaisseau extra terrestre.

Le Choix est un récit qui fait la part belle aux personnages, très attachants. C’est un tour de force, pour un récit si court, d’arriver à dépeindre avec une telle acuité les deux ados, en laissant une place aux personnages secondaires (la mère de l’un, le père de l’autre), sans pour autant sacrifier la qualité du récit. On avale les 80 pages en un clin d’œil, regrettant presque qu’il ne soit pas plus long.

La collection Une heure lumière est donc sur les rails, avec ses quatre premiers titres, affichant fièrement leur élégantes couvertures. C’est une incontestable réussite. Il faut espérer que le succès commercial suive pour qu’elle puisse continuer à exister. Concernant les quatre titres de lancement, Dragon de Thomas Day est selon moi le meilleur, talonné par Le Choix. Les deux autres sont un poil en dessous, mais tout à fait fréquentables.

Novella traduite de l’anglais (Grande-Bretagne) par Gilles Goullet
Paru aux Éditions Le Bélial
– Collection « Une Heure Lumière »

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Cookie Monster. Vernor Vinge

Cookie Monster, de Vernor Vinge, est le troisième volume de la collection « Une heure lumière », des éditions du Bélial, se proposant, faut-il le rappeler, de donner un support à un format assez peu exploité en France, celui de la novella — le « court roman » en Français !

Vernor Vinge est bien connu des amateurs de science-fiction pour ces romans (Un feu sur l’abîme ou Au tréfonds du ciel – qu’il faudrait que je relise pour voir s’ils sont aussi bons que dans mon souvenir) mais aussi dans le milieu scientifique, pour avoir écrit un essai sur la Singularité Technologique.

Il est justement question de cette Singularité (si ce concept vous est étranger : voir ici la fiche Wikipedia qui le résume bien) dans Cookie Monster.

Pour résumer l’histoire en quelques mots, sans trop en dire : des employés d’une mystérieuse firme sont en butte à des incohérences qui les poussent à essayer de comprendre ce qu’est réellement cette société.

Évoquant furieusement tout à la fois The Truman Show et l’ambiance de certains romans de Philip K. Dick, Cookie Monster n’est pas d’une originalité folle, mais c’est une incontestable réussite. Le récit est bien mené et le personnage principal, Dixie Mae, bien déjantée, permet une note d’humour au milieu d’une thématique plutôt flippante.

Cookie Monster a reçu en 2004 le prix Hugo dans la catégorie Novella.

Novella traduite de l’anglais (États-Unis) par Jean-Daniel Brèque
Paru aux Éditions Le Bélial
– Collection « Une Heure Lumière »

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