Arslan. M. J. Engh

Arslan, de M. J. Engh n’est pas tout à fait un roman comme les autres. Le fait qu’il soit resté inconnu sous nos latitudes francophones durant quarante ans malgré l’aura qui l’entoure en est un des signes. Mais cette anomalie éditoriale est réparée grâce à la collection Lunes d’Encre des éditions Denoël.

Le propos de base du roman est un classique de la politique-fiction. Il s’agit de la chronique de la période qui suit une invasion des États-Unis. Sauf que… En fait, cette invasion est loin d’être le sujet principal du livre. L’épisode est mis en place au tout début du roman, en une demi-page, et l’auteure ne reviendra dessus que deux cents pages plus tard.

Arslan est un général Turkistanais (le Turkistan est une province chinoise, devenue indépendante dans le roman) qui, par un tour de passe-passe géopolitique, devient commandant en chef des armées américaines. Pour une raison assez obscure, il débarque à Kraftville, petite ville de l’Illinois.

Malgré la présentation abrupte de la situation et son invraisemblance, la première grande force du roman est qu’on y croit. Plus exactement, le lecteur est dans un tel état de sidération, similaire à celui que ressentent les habitants de Kraftville, qu’il accepte les faits.

Une autre particularité du roman tient au fait qu’alors que son contexte soit une sorte de conflagration mondiale, il est totalement centré sur un endroit minuscule, qui, se retrouvant coupé du monde, ne peut que conjecturer sur ce qu’il advient du reste de la planète. D’ailleurs, on ne sait jamais vraiment ce qui se passe ailleurs qu’à Kraftville. Même lorsque Arslan et l’un des personnages retournent au Turkestan, il ne transpire au travers du récit que des détails allusifs.

Engh centre son roman sur les personnages, trois d’entre eux en particulier : Arslan, bien sûr, et les deux narrateurs en alternance : Franklin Bond et Hunt Morgan. Le premier est le principal du lycée du coin. Le second un de ses élèves d’une douzaine d’années au début du récit. Lors de l’arrivée d’Arslan dans la ville, il viole Hunt Morgan, un acte de cruauté pure pour montrer l’état de soumission dans lequel il compte bien placer la population.

Le récit de Bond est factuel, assez classique. Celui de Morgan est carrément dérangeant. Au moment où il raconte son récit, c’est un jeune homme brisé, mais qui éprouve en même temps une fascination et une attirance pour son bourreau.

Quant à Arslan, c’est un personnage hors-norme. Il n’est pas seulement le « grand méchant » qu’on aimerait voir. Le regard qu’en a Hunt Morgan est biaisé par une espèce de syndrome de Stockholm, mais même Franklin Bond nous dépeint quelqu’un d’ambivalent. Ce qui participe aussi au malaise que l’on éprouve parfois à la lecture du livre.

Comme Robert Merle en son temps dans Malevil, Engh dépeint une micro société coupée du Monde, qui doit réapprendre à vivre simplement, sans technologie. C’est un autre axe important du roman.

Les deux parties racontées par Hunt sont les plus fortes, parce que son personnage est particulièrement poignant. Il a un regard très lucide sur lui même, il se dégage de ces passages un désespoir insondable.

Arslan est un grand roman. Quarante ans après, il n’a pas pris une ride. Sa lecture est durablement marquante.

Roman traduit de l’Anglais (États-Unis) par Jacques Collin
Paru chez Denoël Lunes d’Encre

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