Le vide de la pensée (ou la mort du PS)

Parfois, essayer d’avoir un peu de mémoire ou consulter l’histoire récente n’est pas inutile. On entend en boucle que le PS est mort, comme si la présence d’un parti de la gauche dite “gouvernementale” dans le paysage politique français était une évidence immuable.

En 1969, ce n’est pas si vieux, la gauche n’était pas au second tour de l’élection présidentielle. Et le candidat de l’ancètre du PS, la SFIO, faisait 5%…

De 1958 à 1981, la gauche est restée à l’écart du pouvoir pendant 23 ans. Sous la IVème République, la SFIO, dirigée par Guy Mollet a sombré corps et âme (en oubliant cette dernière) dans la guerre d’Algérie. D’abord favorable à la paix et à l’indépendance,  Guy Mollet finit par s’enfermer dans une politique répressive, alors qu’il était Président du Conseil (le nom que l’on donnait alors au Premier Ministre). Je cite Wikipedia : “Le 12 mars 1956, il demande et obtient le vote des pouvoirs spéciaux incluant notamment la création d’une procédure de justice militaire de « traduction directe » sans instruction, la légalisation des camps d’internement créés en 1955 et l’attribution aux militaires des pouvoirs de police”. Ça ne vous rappelle rien ?

De ces renoncements, la gauche mit donc plus de 20 ans à se remettre. Et c’est François Mitterrand qui démarra un nouveau cycle, en créant un Parti Socialiste refondé en 1971 sur les cendres de la SFIO, un parti qui avait renoué avec ses valeurs, et qui porta, lors de son accession au pouvoir en 1981, des mesures aussi emblématiques que l’abolition de la peine de mort ou les lois Auroux sur le travail, piétinées par une certaine loi Travail en 2016… Le ver était pourtant déjà dans le fruit et dès 1983, le pseudo-réalisme reprit le dessus, mais au moins, ils avaient essayé, et quand même laissé une empreinte.

Si l’on veut à tout prix trouver une date de fin du cycle ouvert en 1971, il faudrait plutôt remonter à 2002, l’échec de Jospin à atteindre le second tour après une campagne calamiteuse , ou au pire 2005, dans la fracture béante entre pro et anti Traité Constitutionnel européen, fracture qui ne s’est jamais refermée. 2002 ou 2005 plutôt que 2017.

En 2017, le nouveau Guy Mollet a déjà terminé  son oeuvre… François Hollande a fait illusion en 2012, en prenant des accents Mitterrandiens pour réveiller un électorat de gauche (et de modérés exaspérés par le règne finissant de Sarkozy). Mais voilà, il était bien l’héritier de Mollet. Non content de placer au centre de son dispositif gouvernemental celui qui avait haut la main recueilli 5% des voix lors de la Primaire de 2011 sur une ligne très droitière – Manuel Valls ; non content de tourner le dos à toutes ses promesses de campagne (excepté le Mariage Pour Tous et que serait devenu cette mesure sans la pugnacité de Christiane Taubira ?) ; non content de piétiner l’accord signé avec les écologistes quelques mois plus tôt ou de refuser de constituer une large majorité avec toute la gauche ; il finit par se vautrer dans le tout sécuritaire (ça ne vous rappelle rien ? voir plus haut…). Et se croyant un destin de père de la Nation, il sortit du chapeau une mesure de Déchéance de Nationalité pour plaire au camp d’en face, ne comprenant même pas à quel symbole il s’attaquait.

Le vase était déjà bien plein, mais là, il a débordé. Il y avait eu les déclarations honteuses à propos des Roms de Manuel Valls deux ans auparavant, mais ça n’avait pas suffi, il fallait aller plus loin dans l’abjection.  Sans compter que le même Valls nous expliqua alors que tenter de comprendre le terrorisme, c’était l’excuser. Comme si le rôle d’un politique, son rôle premier n’était pas de penser.

C’est dans le vide de la pensée que s’inscrit le mal”, écrivait Hannah Arendt, auteur que l’on n’étudie manifestement pas en licence d’histoire (le diplôme universitaire de M. Valls, qui, par ailleurs “aime l’entreprise” sans n’y avoir jamais mis les pieds, mais c’est un autre problème).

Et c’est bien le vide de la pensée qui est devenu la norme de cette gauche de gouvernement. Vide de la pensée accompagnée, mais est-ce bien étonnant, d’une terreur de l’inconnu.

Après l’élection de Donald Trump, quelle a été la première déclaration de François Hollande ? “C’est une période d’incertitude qui s’ouvre”. Pas “je suis inquiet des valeurs que porte cet homme”, non ! L’incertitude ! Comment s’étonner alors que pendant 5 ans, on s’est obstiné à préférer les solutions connues qui ne marchent pas plutôt que l’expérimentation de solutions nouvelles. Comment s’étonner alors que l’on s’accroche à “la croissance qui lorsqu’elle reviendra nous apportera le plein emploi” plutôt qu’à la prise de conscience que ce monde là est fini. Terminé.

On peut penser ce que l’on veut de l’émergence de Benoit Hamon lors de la primaire du PS, organisée pour trouver un représentant socialiste à l’élection de  Mai 2017. Mais il y a un truc qu’on ne peut pas lui reprocher : il a au moins pensé le monde tel qu’il est.

Sur LCP cette semaine, un débat avait lieu sur le revenu universel. Les “anti” étaient entre autre représentés par un fidèle soutien de Manuel Valls : Christophe Caresche. Et on sentait bien que ce n’était pas possible pour lui d’admettre que l’équation croissance = emploi ne valait plus rien. D’abord parce que de croissance sans fin, il n’y aura plus, et parce que la croissance actuelle est de moins en moins riche en emploi. Quant à l’idée de revenu universel, on sentait bien que ce qui le dérangeait le plus, c’était son inconditionnalité. Comment ? Donner sans contrepartie ? Arrêter de faire l’aumône en gardant un pouvoir sur les gens ? Vous n’y pensez pas ! Il le disait, quasiment en ces termes. Car c’est peut-être la nouveauté. Les choses se disent. Le temps des faux-semblants est peut être terminé. Fillon ne cache plus son désir d’en finir avec le programme du Conseil National de la Résistance. Valls et ses amis préfereront la politique de la Terre brûlée plutôt que d’admettre que leur séquence est terminée. Et si l’un d’entre eux est très accroché à son petit pouvoir, il ira voir du côté de Macron s’il ne peut pas espérer conserver sa circonscription, sa place, et les avantages qui vont avec.

Macron… L’ex banquier anti-sytème. Tellement anti-système qu’il agrège autour de lui tous les bouffons médiatiques de ces dernières années, qui ont eu faux sur tout et ont été de formidables boussoles à indiquer le Sud ! Minc, Kouchner, Séguéla, Cavada… Ne manque plus que Tapie qui doit être dans les starting block.

L’histoire est faite de cycles. 1958-1981 : 23 ans.  2002 – ??? : combien d’années de traversée du désert. Mais à choisir, mieux vaut un PS qui s’effondre qu’un PS qui trahit et qui finirait par nous amener dans le mur de l’infamie. Si le PS doit mourir, qu’il meurt. Il faudra le temps qu’il faut, mais les idées, elles, ne meurent pas. Et il faut espérer que ceux qui les incarneront dans le futur plus ou moins proche auront en tête les leçons du passé.

En attendant, parce que c’est bon de rire un peu dans ces moments troublés, il me tarde de voir la tête de Manuel Valls après sa nouvelle défaite, dimanche soir.

Ce contenu a été publié dans Politique, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

1 réponse à Le vide de la pensée (ou la mort du PS)

  1. Phil dit :

    Merci d’être sorti de ta retraite pour mettre les mots juste sur le malaise actuel des gens de gauche confrontés à un PS de droite !

Les commentaires sont fermés.