J’ai retrouvé John Irving… John Irving le conteur, capable de me faire rire aux éclats (chose rarissime, je n’ai que deux autres exemples en tête – je parle de vrais éclats de rire, hein, pas de vagues sourires ou de ricanements : C’est ici que l’on se quitte, de Jonathan Tropper, et La conjuration des imbéciles, de John Kennedy O Toole (les Fantômettes que je lisais quand j’avais huit ans, ça compte pas 🙂 )) et de me faire chialer vingt pages plus tard. Je l’avais perdu depuis la parution en 2002 de son poussif La Quatrième Main. J’avais pas détesté les deux suivants, mais sans sauter au plafond.
En revanche, il faudra s’y faire, une certaine grâce dans son écriture s’est envolée probablement définitivement il y a une dizaine d’années. J’avais déjà été marqué par les digressions incessantes, les allers et retours temporels un peu trop systématiques à la lecture de son précédent roman : c’est à nouveau le cas. C’est pas hyper gênant, c’est juste que j’ai l’impression d’un procédé un peu forcé.
Mais cette petite réserve n’a pas suffit à adoucir mon enthousiasme effréné.
À moi seul bien des personnages, c’est le titre de ce roman, raconte la vie de William Francis Dean Jr. Bill, comme on le surnomme, est né dans les années 40, et, dès son adolescence, va s’interroger sur son identité sexuelle, se découvrir bisexuel, à une époque où c’est bien moins évident que ça peut l’être maintenant (si ça l’est…). De fait, le roman tourne entièrement autour de cette question de l’identité, et de l’identité sexuelle en particulier. Pour le reste, c’est un roman de Irving, c’est à dire un roman avec des ours (bien que dans celui ci, le terme ne désigne pas les animaux), de la lutte, du Vermont, de l’Autriche, et du théâtre. (Au passage, je pense que les traducteurs ont eu tort de traduite Bears par Ours ; en France on dit Bears également – quoiqu’en dise wikipedia : ).
Le hasard a fait que j’ai terminé ce livre le jour du vote solennel du Mariage pour Tous à l’Assemblée Nationale. Quel contraste entre l’atmosphère de tolérance et de liberté dans lequel baigne le roman et l’hystérie des amis de Virginie Telenne !
(Tiens, puisque je parlais de digressions, en voici une : Henri Guaino nous déballe son intimité depuis le début du débat, ses failles, son manque de père, sa blessure, et patati et patata. À trop s’essayer à la psychanalyse (de bazar), on finit par faire parler son subconscient. Dans un acte manqué aussi formidable que comique, Henri Guaino a voté en faveur du Mariage pour tous, en faisant une erreur de manipulation lors du vote électronique de la loi. « Entre ici, Sigmund Freud… »).
Mais j’en reviens au formidable roman de John Irving. Qu’en dire de plus qu’Edmund White : « À moi seul bien des personnages est un roman qui vous rend fier d’être humain » ?
Roman traduit de l’Anglais (États-Unis) par Josée Kamoun et Olivier Grenot
Paru au Seuil
Arf, au début du billet, je me disais que ça entrait bien résonance avec les débats actuels (« à une époque où c’est bien moins évident que ça peut l’être maintenant (si ça l’est…) » –> parles en à Frigide !) – et t’en parles à la fin. 🙂
Ajouté à ma liste de livres à lire.
Un de mes auteurs mainstream préférés. Je me demandais où il avait disparu tiens. Pour moi la Quatrième main était son dernier roman (et ça fait déjà un bail). J’espère avoir le temps de m’y remettre un jour, entre 2 bouquins de SF.
J’espère que par « mainstream » il faut comprendre « littérature générale » 🙂
C’est pas tant la structure temporelle du livre sur laquelle j’aurais des réserves (quoique, en effet, ça semble assez artificielle, calqué sur une histoire finalement linéaire) que le fait – comme on en a parlé par ailleurs – qu’il tire par moments à la ligne. Il revient plusieurs fois sur le même événement – son personnage est assez vieux lorsqu’il raconte son histoire, mais c’est pas une raison pour s’adonner au gâtisme ! Et, sur la fin, on a envie de lui dire de terminer son livre une bonne fois pour toutes, maintenant…
A l’inverse, il bâcle la fin de certaines histoires, comme le destin de sa Nemesis Kittredge, ou de son père.
Mais comme toi, ces réserves ne m’empêchent pas d’avoir totalement adhéré au livre, que j’ai d’ailleurs dévoré. Humaniste, drôle, triste, saisissant (tout le chapitre sur l’épidémie du sida est terrible), prêchant intelligemment la tolérance sans être neuneu…
Et ça prend une résonance particulière dans le contexte actuel et les conneries Boutin-esques (et autres) !