Le quatrième Mur. Sorj Chalandon

Monter la pièce Antigone d’Anouilh au Liban en 1982, en la faisant jouer par des acteurs issus de chaque camp, c’est l’idée de Samuel, réfugié grec en France pendant la dictature des colonels, resté dans notre pays après le retour de la démocratie dans son pays. Mais Samuel tombe gravement malade avant de pouvoir terminer cet ambitieux projet, et le confie à son ami, Georges, plus jeune que lui, qu’il a rencontré lorsque, au début des années 70, Georges était militant Maoïste à l’université et Samuel l’icône de ces jeunes militants.

En 350 pages, Sorj Chalandon nous fait vivre la ferveur des engagements des années 70, puis la complexité de la guerre du Liban, avec une intensité émotionnelle rare. L’écriture est acérée, les phrases sont courtes. Ce n’est pas avec des déluges de mots que l’émotion passe, mais parce qu’elle est saisie avec justesse. Toute est juste, tout est fin, dans ce récit. C’est au travers des yeux de Georges, le narrateur, que l’on est plongé dans les méandres de l’inextricable conflit du Liban. On partage ses doutes, on voit ses a priori nés de ses engagements de jeunesse (très pro-palestiniens) être confronté avec la réalité de la guerre.

Le montage de la pièce est totalement utopique, et de fait, le roman traite principalement des Utopies, à commencer par celles des années 70. Le plus douloureux est sûrement de voir à quel point ces utopies volent en éclat face à une guerre aux racines si profondes qu’on n’en comprend plus bien les tenants et les aboutissants.

La toile de fond du récit, c’est Antigone d’Anouilh (que j’ai du coup très envie de lire), très subtilement mêlé à l’histoire. Chalandon nous en donne suffisamment pour suivre si on ne l’a pas lu, même si je suis sûr que connaître ce texte donne une dimension supplémentaire au roman. D’autant qu’il y a un parallèle frappant entre la pièce et l’histoire du roman. Le théâtre est omniprésent dans le livre : Samuel et Georges sont tous les deux metteurs en scène.

Le questionnement sous-jacent, c’est aussi la fidélité à ses idéaux de jeunesse. Chalandon, longtemps grand regretter à Libération quitte le journal en 2006. J’ai retrouvé une interview qu’il a alors donné au Nouvel Obs (voir l’article ici) : « le journaliste dit ne pas accepter l’exigence d’Edouard de Rothschild d' »une vraie rupture avec Serge July ». « L’époque July, j’en suis partie prenante depuis le début. Cette rupture, Libération doit peut-être la faire mais il la fera sans moi », a-t-il expliqué. » Je trouve que ces mots résonnent parfaitement avec le roman. (Et me touchent aussi beaucoup parce que le lecteur fidèle de Libé que j’ai été ne s’est jamais remis de l’éviction de July, jusqu’à déserter la lecture du quotidien peu après l’arrivée de Demorand, après quelques années de déceptions).

Pour revenir au Quatrième Mur, c’est un roman extrêmement brillant, touchant, qui se lit d’une traite et dont on sort vraiment bouleversé.

Publié chez Grasset

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