Imaginons. Pacal Canfin / De l’intérieur. Cécile Duflot

Les deux ministres écolos des gouvernements Ayraut publient simultanément un livre. Cécile Duflot raconte pas le menu ses deux années au gouvernement, et fait l’analyse politique de son départ du gouvernement. Pascal Canfin a choisi un autre angle. Par le biais d’échanges avec six français de divers horizons, il esquisse les pistes d’une autre politique.

Commençons par ce dernier.

Une ouvrière, un patron de PME, une infirmière, un financier, un cadre de pôle-emploi, un responsable associatif. Pascal Canfin écoute, pose des questions, et argumente à l’aune de ses propres  expériences pour nous expliquer sa vision des choses. Ce n’est pas lui qui mène les échanges mais une journaliste. La forme est originale. C’est assez plaisant à lire, parfois très pointu (certains échanges avec le financier me sont passés largement au dessus de la tête). Le livre illustre parfaitement le décalage entre le monde politique et « la vie réelle ». Canfin a un parcours très atypique pour un homme politique français, et on se prend à rêver qu’il y en ait plus comme lui, et dans tous les partis. Il sait ce qu’est une PME, il connait bien la finance, et comprend aussi le monde associatif. Autrement dit, il est capable de se faire une idée par lui-même sur des sujets complexes, devant lesquels la plupart des responsables politiques abdiquent face à une structure technocratique qui, c’est un fait, recycle à l’infini les mêmes solutions. Même s’il met en avant les acquis de son action au parlement Européen, puis au gouvernement, le constat est assez peu optimiste. Parce qu’au final, ces acquis sont bien maigres, et je ne dis pas ça pour lui faire injure, il l’explique lui-même.

Par exemple, un extrait sur les négociations à propos de la régulation du Système financier:

Parce que, au Conseil européen, vous vous trouviez face à une seule ambition: tuer le texte de la Commission pour défendre qui la Deutsche Bank, qui Barclays, qui la BNP, qui UniCredit, etc. Résultat, vous n’aviez que des accords moins-disants, après d’âpres négociations où la France passait beaucoup de temps àdemander que l’ont supprime telle phrase qui ennuyait la BNP ou telle autre dommageable à la Société Générale. En échange de quoi la France soutenait la demande allemande de supprimer telle phrase qui chagrinait la Deutsche Bank.  Sans parler, bien sûr, des Britanniques, qui voulaient souvent qu’on supprime tout le texte ! À la fin, vous n’aviez plus aucune des deux phrases. Pourquoi ? Parce que, objectivement, que ce soit à droite ou à gauche, au PS ou à l’UMP, ou au sein du SPD ou de la CDU,  en Allemagne, au delà du grand discours genre « La finance est mon ennemie », très peu de responsables politiques se sont vraiment coltinés la réalité du système. Je le dis sincèrement, je trouve ça affligeant.

Et nous avec ! Au travers de ses entretiens, Pascal Canfin aborde en détail le système de santé, la régulation financière (un entretien très musclé avec le financier !), le partage et l’organisation du travail. Tout ça au travers du prisme écolo, c’est à dire avec le souci de l’équilibre de la planète et de la nécessaire transition énergétique. Les interlocuteurs ne sont pas des amis de Canfin, ni ne sont acquis à sa cause.

Concernant la transition énergétique, un autre extrait, révélateur d’un état d’esprit dominant :

Peu avant son départ de la tête de la BCE, j’ai rencontré Jean-Claude Trichet en tout petit comité avec Philippe Lamberts, nouveau coprésident du groupe des Verts au parlement européen. Jean-Claude Trichet est alors l’incarnation de cette fameuse « crédibilité ». (…) Nous lui demandons en fin d’entretien comment il envisage, en tant que patron de la BCE, de contribuer à la lutte contre le dérèglement climatique (…) Nous voyons tout de suite à son regard qu’il n’a pas passé une seule seconde – visiblement de toute sa carrière – à se poser cette question. Et sa réponse est alors que la recherche sur le nucléaire de 4e génération règlera tous les problèmes et qu’il a foi dans le progrès.

On se prend à rêver, au fil de la lecture, qu’en plus de se préoccuper des grands équilibres et d’attendre que la croissance revienne (par magie, probablement), on ait un jour un gouvernement qui ait envie de faire des choses, des choses concrètes, qui changent durablement le cours des événements. Canfin n’est jamais dans le « faut qu’on, y’a qu’à », il ne prétend pas avoir une solution à tout non plus. Il pense, et c’est déjà beaucoup.


Du côté de Cécile Duflot, le but n’est pas le même. Il s’agit avant tout de tirer un bilan de deux années d’expérience (douloureuse) au gouvernement, et d’expliquer pourquoi les écolos ont décidé de ne pas participer au gouvernement de Manuel Valls (vous savez le Monsieur 5,6% de la primaire socialiste). Si l’on se contente de lire les réactions qu’à suscité le livre dans la presse, on peut avoir l’impression que c’est un livre d’insulte. « Peu élégant », « Triste », cite Le Monde… Quant à Valls et à ses amis, ils pensent qu’ « Il faut taper et ne pas hésiter à lui rentrer dedans ! », comme on peut le lire dans le même article du Monde (publié le 21/8/2014).

Il est à peu près certain que ces commentateurs n’ont pas lu le livre en question.

Avec une grande lucidité, une vraie exigence avec elle-même, sans concession (y compris sur son propre bilan), Cécile Duflot pose l’équation qui a déterminé son entrée au gouvernement en 2012, et explique pourquoi elle en est sorti.

Duflot exprime avec simplicité ce que ressentent, j’en suis persuadé, la majorité des électeurs de Hollande qui se sentaient à gauche, en mai 2012. Pas à l’extrême gauche. C’est même encore plus simple, elle exprime son incompréhension face à l’écart abyssal entre les promesses de campagne du candidat (qui n’étaient pas non plus révolutionnaires) et les actes du président.

Cécile Duflot, comme bien des électeurs de Hollande, s’est senti flouée lorsque, de jour en jour, elle a compris que le quinquennat était pris en main par des gens qui n’avaient que faire des promesses de campagne, persuadés de détenir la vérité absolue. Les entretiens qu’elle relate avec Jérome Cahuzac, encore ministre du budget, sont éloquents. Et puis, il y a Manuel Valls. Extrait…

Je ne connais pas assez Manuel Valls et Nicolas Sarkozy pour savoir s’ils se ressemblent. Mais je sais que celui qui fut le ministre de l’intérieur François Hollande utilise des recettes similaires. il déploie les mêmes techniques : saturation de l’espace médiatique, transgression. La figure est facile : le mec de gauche qui tient des discours de droite, c’est un peu l’écolo qui défend le nucléaire.
C’est ce que j’appelle la triangulation des Bermudes. À force de reprendre les arguments et les mots de la droite, de trouver moderne de briser les tabous, et donc de défendre la fin des trente-cinq heures, de dénoncer les impôts, de s’en prendre aux Roms, de prôner la déchéance de la nationalité pour certains condamnés, de taper sur les grévistes, quelle est la différence avec la droite ? Une carte d’adhésion dans un parti différent ? Le fait de proclamer toutes les trois phrases « Je suis de gauche » ? Formellement, actuellement, quels sujets les opposent ?
À force de trianguler, ils ont fait disparaître la gauche.

Elle consacre tout un chapitre à Martine Aubry, qu’elle nomme « L’absente… », qui s’ouvre par les mots « Sans elle, le quinquennat est bancal ». Une analyse intéressante, qu’on ne lit pas beaucoup ailleurs (et que je partage complètement).

Bien sûr, le livre est cruel pour les deux têtes de l’exécutif, mais ce n’est pas un brulot. C’est une analyse de la situation, on peut bien sûr ne pas la partager, mais elle est basée sur des faits, qui eux sont intangibles.

Ironie de l’histoire, lors de la parution du livre, il y a une semaine, les commentateurs le jugeaient comme le summum de la transgression, le franchissement de ce qui est permis dans le monde politique, où au fond, on ne doit jamais exprimer la réalité. En quelques jours, l’épisode « Montebourg-Hamon-Démission-du-gouvernement » a complètement changé la perspective. L’analyse de Duflot, en réalité, est à peu près partagée par la majorité de la majorité parlementaire qui soutenait Hollande en 2012. Pour le dire autrement, Hollande et Valls n’ont aujourd’hui plus de majorité. Deux ans et demi avant la prochaine présidentielle, ça va être un long chemin de croix, si le quinquennat va à son terme, ce qui semble aujourd’hui toit sauf une certitude.

Imaginons. Pascal Canfin. Editions Les Petits Matins
De l’intérieur. Cécile Duflot. Fayard

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1 réponse à Imaginons. Pacal Canfin / De l’intérieur. Cécile Duflot

  1. Phil dit :

    Vais faire une pause de quelques jours avec la désillusion de la gauche, hein – mais après je m’intéresserai de près aux deux (surtout celui de Duflot) !

Les commentaires sont fermés.