La Symphonie des spectres. John Gardner

À force de dire que je prends une claque en finissant un bouquin, je vais finir par ne plus être crédible 🙂 C’est pourtant ce que je disais dans mon précédent billet « Livres » concernant la Maison des Derviches, mais je ne trouve pas d’autres mots après la lecture de La Symphonie des Spectres, de John Gardner, sauf que c’est une claque encore plus énorme. « Le chef d’œuvre oublié de la littérature américaine », clame l’éditeur sur le fronton de ce livre de 1982, réédité en France le mois dernier. Je confirme.

Il est difficile de parler de ce pavé (770 pages, écrites en tout petit) parce qu’il ne ressemble à rien d’autre. On peut dire qu’il nous raconte quelques mois de la vie du personnage central, Peter Mickelsonn. Mais ce serait bien réducteur. Mickelsonn est professeur de philosophie à l’Université, une petite cinquantaine, il a eu un certain succès avec un livre il y a des années, mais ce succès lui semble bien loin. Depuis sa séparation avec sa femme, quelques années auparavant, rien ne va plus. Sa vie se délite sous ses yeux, et sa passivité n’est pas étrangère à ce délitement. Il est perclus de dettes, ne déclare (ni ne paye, évidemment) ses impôts depuis deux ans, et en attendant le jugement de divorce, et malgré ses ennuis financiers, il verse beaucoup d’argent à sa femme. Ses deux enfants, maintenant adultes, se sont éloignés de lui. Il est seul. Au lieu de se connecter avec la réalité pour essayer de s’en sortir, il s’engage dans une fuite en avant en faisant l’acquisition d’une vieille bâtisse (grâce à un prêt obtenu sur la base de déclarations mensongères), qui a la réputation, dans la région, d’être hantée.

Voilà, le cadre est posé, et je me rends compte que, dit comme ça, ça n’a pas beaucoup d’intérêt. Et pourtant… La Symphonie des Spectres est une photographie de l’Amérique à un moment clé : l’élection de Reagan en 1980. Enfin, je veux dire qu’on sait aujourd’hui que ça a été un moment-clé. La politique de dérégulation de l’administration Reagan nous a amené tout droit à la crise financière de 2008 (désolé pour le raccourci, je veux pas vous barber ici avec une longue digression sur la financiarisation de l’économie depuis les années Reagan). La Symphonie des Spectres a été publié en 1982, ce n’est donc pas une analyse de cette époque a posteriori, mais c’est un témoignage direct de ce moment-clé. Rien que pour ça, c’est précieux. Mais ce n’est pas que ça. C’est aussi une plongée dans le système universitaire américain (un peu à la « David Lodge »). C’est aussi, et sans que ce soit jamais barbant, de longues digressions philosophiques du personnage principal. C’est aussi un roman sur l’amour. C’est encore la peinture d’un personnage hyper complexe et très attachant, malgré ses faiblesses et ses défauts. Et aussi plein d’autres choses : des meurtres mystérieux, le combat anti-nucléaire du fils de Mickelsonn (on se rend compte que trente ans après, les termes de ce combat n’ont pas dévié d’une virgule), et ces histoires de fantômes : réalité ou fantasme ? C’est parfois désespéré, parfois d’un humour féroce et désopilant.

J’aime beaucoup la traduction française du titre (le titre original traduit littéralement donne « Les fantômes de Mickelsonn »), parce que Mickelsonn n’est pas hanté que par les fantômes hypothétiques de sa nouvelle maison, mais par l’ensemble de sa vie, son ex-femme, le fisc, sa lâcheté et j’en passe. Et le terme Symphonie se prête bien à l’œuvre qui nous est donnée à lire.

C’est en effet une véritable Symphonie, d’une densité incroyable, d’une richesse éblouissante, et qui reste, véritable tour de force, d’une grande facilité de lecture du début à la fin. Attention, il s’agit d’une lecture exigeante mais ce n’est pas difficile à lire.

C’est pour moi le type même du roman américain qui me fascine, de l’ordre d’un Russel Banks, d’un Jonathan Frantzen, d’un Philip Roth. Oui, c’est bien Le chef d’œuvre oublié de la littérature américaine, et ce serait une honte qu’il ne sorte pas des oubliettes dans lesquelles il a reposé trop longtemps !

Du coup, j’ai bien envie de me pencher sur Grendel, du même Gardner, qui m’avait pas  trop tenté lors de sa réedition en Lunes d’Encre l’an passé.

Roman traduit de l’Anglais (États-Unis) par Philippe Mikriammos
Paru aux Éditions Denoël

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6 réponses à La Symphonie des spectres. John Gardner

  1. Phil dit :

    Ah ben t’as quand même fini par le finir ! 🙂

  2. Cédric dit :

    En fait, t’es une vraie tête à claques 😉

  3. Cachou dit :

    Ah ben si ça ce n’est pas de l’amour!
    De mon côté, je trouve quand même qu’il est trop lourd de 100-200 pages, celles tournant autour des déboires financiers grand-guignolesques du personnage.

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