Underground. Haruki Murakami

En ballade dans ma librairie favorite, sans idée précise d’achat, je tombe sur un « nouveau » Murakami : Underground. Étant fan absolu de l’auteur depuis une dizaine d’années (lorsqu’une amie m’a offert Chroniques de l’oiseau à ressort), je l’ai acheté sans me poser de questions.

Il se trouve que j’ai aimé ce livre (qui n’est pas un roman), et je vais dire pourquoi plus loin, mais plus j’ai avancé dans la lecture et plus j’ai été irrité par la démarche éditoriale des Editions Belfond.

Underground est né de la volonté de Murakami de donner un éclairage différent de celui des médias aux attentats simultanés du 20 Mars 1995 perpétrés par la secte Aum dans le métro de Tokyo. C’était, à l’origine, un livre compilant les témoignages de survivants de l’attentat, certains totalement rétablis, d’autre encore affectés par diverses séquelles. Ce document originel, qui s’appelait Underground, a dû paraître au Japon en 1997. J’emploie cette formule conditionnelle parce qu’en lisant le livre, on n’est pas sûr. Mais quoiqu’il en soit, ce que nous livre Belfond, à nous, lecteurs français, en 2013 est ce document d’origine enrichi d’une compilation d’interviews de membres de la secte publiées en 1997 dans un magazine Japonais.

On se retrouve donc avec un livre en deux parties, précédées chacune d’une préface de Murakami lui-même, mais sans aucune explication de l’éditeur. Qui a donné le titre Underground pour l’ensemble.

Ce que j’aurais aimé, c’est une préface générale de l’éditeur m’expliquant la genèse de cet ouvrage, et pourquoi il s’agit d’une traduction de l’anglais, alors que Murakami explique dans la préface de la deuxième partie que les interviews qui suivent sont parues dans un magazine Japonais…

Mon hypothèse est qu’on est en présence de la traduction d’une compilation effectuée par un éditeur anglais (en première page, il est signalé « publié par The Harvill Press, Londres »). Je trouve quand même bizarre de ne pas être parti du texte Japonais…

Enfin, si l’on garde un doute sur la démarche éditoriale, lisons la quatrième de couv.
« Livre d’entretiens mais aussi de réflexions philosophiques et autobiographiques, un essai indispensable pour décrypter l’oeuvre de l’auteur de 1Q84 (…)
Au fil des entretiens apparaissent tous les grands thèmes chers à Murakami (…) »

J’en ai vu des foulages de gueule, mais alors là, chapeau bas, Monsieur ou Madame Belfond ! En terme de réflexions autobiographiques, Murakami se contente de nous expliquer où il se trouvait au moment des attentats et comment il les a perçu. Quant à décrypter l’oeuvre de Murakami au travers de cet essai… Mais bon, il fallait citer 1Q84 pour surfer sur son succès.

La vérité est qu’il n’y avait aucune raison de déterrer ce texte aujourd’hui, et ça, c’est difficile à expliquer sur une quatrième de couv ! Ça n’empêchait nullement un minimum de respect du lecteur, en lui expliquant au moins l’historique du texte. (Et si Belfond veut vraiment vendre du papier grâce au nom Murakami, pourquoi ne pas publier ses deux premiers romans, inédits en France ?) Fin du coup de gueule.

Underground est cependant un texte passionnant. Et plus qu’un « Livre de réflexions philosophiques et autobiographiques », comme ils disent,  c’est surtout une radiographie du Japon assez effrayante. L’auteur accumule les récits de témoins qui nous dévoilent leur quotidien, fait pour la plupart de trajets en métro pour rejoindre leur travail dépassant allègrement l’heure. On est oppressé par le métro-boulot-dodo effectué dans une certaine résignation. Et puis il y’a l’horreur de ces attentats complètements insensés, surtout pour une population persuadée que le Japon était préservé de ce genre d’actes, qui ne pouvaient arriver qu’aux US ou en Europe. Quant aux témoignages d’anciens de la secte, ils sont parfaitement glaçants. Et on comprend que Murakami ait estimé que condamner les coupables n’était pas suffisant, et que la bonne question aurait été « Comment on en arrive là ? ». De ce qu’on comprend en filigrane de ses réflexions, cette question n’a pas été posée, ni par les médias, ni par la justice, ni par le monde politique.

Ce qui est étonnant aussi, c’est qu’on retrouve le style de Murakami, ce mélange de quotidien et de dérapage dans un univers quasiment fantastique, qui me plait tant dans ses romans. Sauf que là, le basculement n’est pas dans du fantastique, mais dans quelque chose de dramatiquement réel. Il n’en reste pas moins qu’on dévore les pages de ce document avec la même frénésie qu’un roman de l’auteur.

Document traduit de l’Anglais (donc…) par Dominique Letellier
Paru aux Éditions Belfond

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3 réponses à Underground. Haruki Murakami

  1. Phil dit :

    « Mais bon, il fallait citer 1Q84 pour surfer sur son succès. »
    –> Voilà, je pense que tu as tout dit là (concernant la stratégie éditoriale) !

  2. Cédric dit :

    A l’époque du livre, les Etats-Unis se croyaient encore invincibles …

    • Cyrille dit :

      Oui, probablement, mais je suis pas sûr que cette notion d’invicibilité était aussi forte dans la population américaine qu’au Japon, qui bénéficie d’une situation insulaire. Or, le danger était à l’intérieur…

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