Lorsque j’ai (ré)ouvert ce blog il y a un peu plus de deux ans, je l’ai sous-titré « Penser le monde », avec une grosse dose d’auto-ironie, évidemment : je n’ai pas la prétention d’avoir une quelconque autorité pour le penser, notre monde. Mais c’était aussi pour exprimer le fait qu’aujourd’hui, plus grand-monde ne le pense, ce monde, alors qu’il serait plus que temps. Dans le monde politique, ce « plus grand-monde », se réduit à personne. Quelle est la vision stratégique des politiques sur le réchauffement climatique, sur la mondialisation, sur la démocratie et l’Europe ?
Bien aidés par le bruit médiatique ambiant, empoisonnés par le cancer que sont devenus les chaînes d’info en continu (faut bien remplir l’antenne), nous sommes nous-mêmes peu enclins à exiger de nos politiques cette nécessaire vision. Qu’est-ce qui fait la Une en ce moment ? Les Roms. Entre 17 000 et 20 000 personnes en France, sur une population totale de 63 millions. Le Monde et Libé avaient un même titre aujourd’hui : « Roms : Valls juge les critiques de Duflot insupportables ». C’est marrant, moi, c’est Valls qui m’insupporte. Je ne supporte pas son argumentation-justification « je suis en phase avec les français ». Les « français », comme il dit, dont on teste l’opinion au moyen de sondages bidons. Manuel Valls, aujourd’hui (je précise, parce que son opportunisme politique l’amènera probablement à changer de positionnement si le besoin s’en fait sentir), c’est un mélange de social-libéralisme assumé qui ressemble fortement à la politique menée par le précédent gouvernement (lors de la primaire socialiste, il défendait la TVA sociale, abrogée par le gouvernement Ayraut, et réintroduite de façon light depuis…) et de sécurité comme fond de commerce. Surtout, c’est une façon de faire de la politique calquée sur celle de Nicolas Sarkozy : omni-présence médiatique, story-telling permanent. La pire des façons de faire de la politique, mais celle qu’adorent les chaines d’info en continu. Et celle qu’adorent aussi les éditorialistes qui font (ou croient faire) l’opinion : un mec responsable, au discours martial. Celui qui remue la merde et dit ensuite qu’il s’en préoccupe. Il a beau nous afficher sa naturalisation en étendard (tiens, c’est marrant, Sarkozy, quand on le titille sur le sujet, nous explique que la France a accueilli sa famille d’origine hongroise), ça n’y change rien. Ses propos sur les Roms, Cécile Duflot a raison, sont l’exact pendant du discours honni de Grenoble de Nicolas Sarkozy, celui qu’on aurait tant souhaité ne plus entendre après la victoire de François Hollande (pas tout le monde, j’entends bien, mais en tout cas ceux qui ont élu l’actuel président et sa majorité parlementaire).
Et le président, qu’en dit-il ? On ne sait pas. Il laisse ses ministres s’étriper, attendant sûrement de voir de quel côté l’opinion penche. Or, on sait très bien de quel côté l’opinion penche, lorsqu’elle est chauffée à blanc par un bourrage de crâne permanent. Je me souviens qu’au début des années 2000, lorsque Sarkozy est sorti du désert (dans lequel il était entré après son judicieux soutien à Balladur en 1995), je m’étais dit « Merde, on en a pour vingt ans avec lui ». Je crains qu’il n’en soit de même pour Valls. Et si, aux alentours de 2019, 2020, une batterie de sondages, rabâchés jour après jour, en font le meilleur candidat de « gauche » (je me marre) à la présidentielle de 2022, nul doute que les sympathisants socialistes le porteront aux nues. Ils ont fait la même chose avec Royal en 2007 et avec Hollande an 2012. Pour ce qui est des convictions, on verra après…
Vu en replay cet après midi « Cash Investigation » sur le diesel. On peut dire beaucoup (de mal) sur la forme de cette émission (France 2). Mais ils ont au moins le mérite de traiter de sujets aux enjeux autrement plus importants que le soi-disant matraquage fiscal (je pourrais en faire deux pages là-dessus, mais j’abdique, ça me fatigue trop), ou bien que la recherche du corps de cette malheureuse enfant battue à mort. Ce dernier sujet, intéressant s’il permettait de se poser les véritables questions sur la violence sur les enfants, n’est qu’un festival de voyeurisme, qui fait l’ouverture des JT quand il y a une quasi-guerre en Syrie. Mais revenons au Diesel. Depuis trente ans, des rapports sont commandés par différents ministres. Tous disent la même chose : le Diesel tue. Par les particules fines, et, depuis, que celles-ci sont soi-disant filtrées par les filtres à particules, par l’augmentation de la concentration de NO2 dans l’air, corollaire du super filtre. Le premier rapport date de 1983, l’un des plus explicites date de 1996, commandé par Alain Juppé, alors premier ministre. Notre futur Président de la République (ouais, je suis comme ça, j’aime bien les paris) l’a mis dans un tiroir, probablement sans même le lire. Ça promet. Arnaud Montebourg, notre ministre du Made in France, porte-étendard de la transition écologique en 2011, militant acharné du nucléaire et du diesel en 2013, dit qu’il ne fait pas toucher au Diesel, parce que nos « champions nationaux » (comprendre Renault et PSA), en sont les spécialistes. Pendant que Toyota investissait en R&D pour mettre en production en 1997 la première voiture hybride-essence, et bientôt la première voiture à pile à combustible, et bientôt à Hydrogène, PSA et Renault distribuaient le peu de cash flow qu’ils dégageaient à leurs actionnaires, et investissaient le peu qui restait dans le diesel, puisqu’à cause d’une fiscalité aberrante unique dans le monde, le diesel est beaucoup moins taxé que l’essence en France. Je n’appelle pas ça des « champions », j’appelle ça des tocards.
Le nouveau rapport du GIEC sur le climat vient de tomber. C’est pire que ce qu’on pensait en matière de réchauffement climatique. Va-t-on accélérer le mouvement, mettre au placard, dans la décennie qui vient notre modèle productiviste basé sur la croyance en l’inépuisabilité de nos ressources (et là, je parle pas de notre petit pays, mais du Monde Entier) ? Ne rêvons pas.
En France, avec des Montebourg, des Valls, des Ayraut (et Hollande comptant les points) aux manettes aujourd’hui, des Copé, Le Pen, Juppé demain, on approche du moment où, pour créer des emplois, on va nous expliquer qu’il faut exploiter le gaz de schiste qui repose sous nos pieds, qu’il faut construire d’autres EPR, qu’il faut intensifier encore l’agriculture. Et, pour faire passer la pilule, on construira des tramways. Et Carlos Goshn (PDG de Renault) s’achètera une bonne conscience en fabriquant des voitures électriques, au moindre coût, c’est à dire sans aucune recherche sérieuse sur l’avenir technologique de la filière. Comme on l’a toujours fait.
En début de mandature, parfois, on prendra quelques écolos dans le gouvernement. Pour faire joli. On les roulera dans la farine, puis on les jettera, et Apathie-Duhamel-Giesbert, notre éditorialiste favori, dira que ces zozos sont vraiment indécrottables, et qu’heureusement, on a des gens responsables comme Valls et Sarkozy pour prendre les décisions courageuses.
Sur le site de l’INA, on peut voir les discours de campagne de René Dumont en 1974, et Brice Lalonde en 1981 (et ce qu’on pense de ce qu’est devenu ce dernier ne change rien à l’affaire). Leur discours, jugé farfelu alors, décrit très précisément les impasses de notre monde d’aujourd’hui. Sur ces sujets là, personne ne pourra dire « On ne savait pas ».
Pendant ce temps, DSK s’enrichit en conseillant les gouvernements les plus infréquentables et en rentrant au Conseil d’Administration des banques d’affaires. Sarkozy fait des conférences sur « sa vision du monde », payé grassement par des industriels. Business as usual. Tout va bien.
(C’était le centième billet du blog, je m’en rends compte en le publiant)
Je ne te remercie pas (d’avoir plombé ma journée) !
Peux même pas me dire que t’abuses : j’aurais pu écrire (moins bien :)) exactement la même chose sur tous les points (nan mais Manuel Valls, quoi !)