Après les élections européennes…

Embourbés dans l’ouragan médiatique qui fait que chaque jour, une affaire chasse l’autre, nous avons perdu l’habitude de nous arrêter pour réfléchir cinq minutes aux événements. Bien évidemment, il serait tentant de se jeter sur la croustillante affaire UMP/Bygmalion/Copé/Sarkozy. Mais il me paraît important, quand même, de revenir à ce qui s’est passé il y a à peine 48 heures (une éternité en temps BFM-TV) : les résultats des élections européennes.

Rien de plus énervant que les étonnements, « séismes » et autres « coups de tonnerre ». D’une part, les mêmes journaux qui font leurs manchettes sur la surprise nous annonçaient ces résultats depuis des semaines. D’autre part, sont-ils si difficiles à comprendre si on prend trois pas de recul et qu’on examine dans son intégralité la séquence qui va de la primaire socialiste à aujourd’hui (on pourrait même faire remonter la séquence à 1983, j’y reviendrai) ?

Alors, allons-y : en 2011, le Parti socialiste organise des Primaires pour désigner son candidat à la présidentielle et les frasques de Dominique Strauss-Kahn rendent le jeu plus ouvert que prévu. À l’issu de ces Primaires, un résultat assez clair (et aussi, il faut le dire l’attitude clean de la candidate malheureuse, Martine Aubry) crée un début de dynamique pour le candidat désigné : François Hollande. Sa victoire en 2012 est le fruit de la combinaison de cette dynamique et d’un rejet massif du candidat-président sortant.

Les sympathisants de gauche ont tranché sur une ligne qui n’était pas un social-libéralisme pur jus (incarné par Manuel Valls qui a recueilli 7 % des voix lors des primaires). Les Français ont aussi rejeté, même si c’est à une courte majorité, la politique libérale de Sarkozy. Hollande, durant sa campagne, a clairement pris position contre la « politique de l’offre » chère aux ultralibéraux. Il a désigné son ennemi : la finance. Il a dit que la jeunesse serait l’une de ses priorités les plus fortes.

Et puis il a été élu. Et deux mois après, il demande à Louis Gallois, qui clame depuis des années que la bonne politique, c’est la politique de l’offre, faite de baisses de charge et de la réduction de la dette publique, de lui remettre un rapport sur la compétitivité de l’économie française. Et quelle surprise ! Le rapport Gallois prône des baisses de charge et aboutit au fameux pacte de compétitivité, avec au passage, une augmentation de la TVA pour financer les baisses de charge, alors que Hollande avait dit tout le mal qu’il pensait de la TVA sociale de Sarkozy, abolie avant même sa mise en œuvre dès son arrivée à l’Élysée.

« Mon ennemi, c’est la finance » ? Oublié ! La loi de séparation des activités bancaires est une vaste blague, une loi faite sur mesure pour les banques, dans le but que surtout, rien ne change.

La Justice fiscale ? Oubliée. Plutôt que de réformer en profondeur le système, qui fait qu’aujourd’hui, les classes moyennes inférieures sont fortement taxées quand les classes vraiment supérieures sont épargnées, on a accumulé une série de nouvelles taxes et impôts qui ont certes fait rentrer des deniers dans les caisses, mais de façon totalement illisible.

La réforme des institutions ? Diluée, reportée ou oubliée. Le non-cumul des mandats se sera peut-être pour 2017, enfin, peut-être…

Arrive alors les Municipales, qui balaye le PS et le dégage de villes qu’il dirigeait parfois depuis plus de 100 ans. Quelle est alors l’analyse de Hollande ? Il faut accélérer ! Tel un converti qui doit donner jour après jour plus de gages à la nouvelle religion qu’il a embrassée, il nomme Manuel Valls comme Premier ministre, celui-là même qui recueillait 7 % des voix des Primaires socialistes. Et Valls est bien nommé pour incarner la politique qu’il prônait en 2011 : baisse des dépenses publiques, baisse des charges et des impôts. Et je ne parle même pas des positions abracadabrantes du même Valls sur la politique d’immigration ou la situation des Roms.

Alors voilà. Je n’excuse personne de se laisser aller à voter pour un parti nauséabond (pardon, que j’estime nauséabond), c’est-à-dire le Front National. On aurait pu rêver que les gens, dégoûtés de voir que, quel que soit leur vote c’est toujours la même politique qui est menée, votent pour le Front de Gauche ou les Verts. Il n’empêche que ce vote Front National (ajouté à l’abstention de 60%, ne l’oublions pas) est né dans les renoncements de Hollande.

On est dans un système à bout de souffle. Il n’est pas normal que la politique soit un jeu confisqué par deux partis dits de gouvernement qui pensent exactement la même chose sur quasiment tout, mais qui s’amusent à dire le contraire à chaque grand rendez-vous pour alternativement croquer une part du joli gâteau. Dernier exemple en date : le couple Hollande-Valls annonce un plan d’économie de 50 milliards, l’UMP annonce qu’il faudrait en faire 132… Sachant que déjà, 50 milliards, personne ne l’a jamais fait ! Faut être sérieux, les amis, faut être sérieux.

Aujourd’hui, entre 40 et 60 % du PS, les centristes et au moins la moitié de l’UMP pensent exactement la même chose. C’est à dire, en gros que la politique de Hollande est la bonne. Et bien qu’ils actent cette convergence. Et que, à gauche, l’autre moitié du PS, les Verts et le Front de gauche réfléchissent à un projet alternatif. Pas un projet d’invectives et de « faukonyaka ». Un projet argumenté sur le fond. De l’autre côté de l’échiquier, libre aux tenants de la droite forte et du Front National de présenter un autre projet. Et après ? Et bien puisque ces messieurs (et quelques dames, mais surtout des messieurs, malheureusement) ont le mot démocratie plein la bouche, qu’ils soumettent ces projets aux suffrages. Un suffrage législatif, à la proportionnelle. Et si aucune majorité ne se dégage, que l’on montre enfin une certaine maturité politique, en créant des coalitions basées sur des contrats de gouvernement, et non pas sur un partage des postes. Alors bien sûr, tout ça nécessite une réforme constitutionnelle de fond. Pourquoi ne pas décider aujourd’hui, sans plus attendre, de faire élire une assemblée constituante pour changer de loi fondamentale ?

Je disais au début qu’en fait, la séquence à analyser pour expliquer le score du Front National remonte à 1983. En effet, c’est en 1983 que Mitterrand et Mauroy ont tourné le dos à leur politique de gauche. Peut-être était-elle mauvaise. Le drame, c’est qu’ils n’ont pas inventé autre chose, ils se sont contentés de rallier les dogmes néo-libéraux du moment, et ont accéléré la construction de l’Europe sur ces même bases néo-libérales. Comme par hasard, l’émergence du Front National date de la première élection qui a suivi… Juin 1984. Des Européennes. Déjà !

(On pourrait aussi parler du référendum de 2005, du silence assourdissant de Hollande sur le traité transatlantique, j’en oublie sûrement…)

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1 réponse à Après les élections européennes…

  1. Phil dit :

    Tu vois que tu te résouds pas à attendre le pire (voir la discussion « chez moi ») ! 😀

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