Le dernier Loup-Garou. Glen Duncan

Des loup-garous et des vampires. Et pourtant on n’est ni dans Twilight ni dans Buffy. Le dernier Loup-Garou est un vrai livre, pas un produit de consommation jetable à l’usage d’adolescents décervelés shootés à la télé réalité.

Jake Marlowe est un loup-garou. Tous les vingt-huit jours, à la pleine lune, il se transforme en loup et éprouve le besoin irrépressible de tuer un être humain pour s’en nourrir. Et cela dure depuis cent-cinquante ans. Mais Jake est le dernier loup-garou en vie, et il est traqué par l’OMPPO (Organisation mondiale pour la prédation des phénomènes occultes). Lassé de la fuite, lassé d’assumer sa double nature et de devoir s’arranger moralement avec ses meurtres mensuels, il se dit qu’il est peut être temps d’en finir. Il est prêt à se laisser attraper et tuer par l’organisation. Mais une surprise va lui redonner le goût à la vie et le goût au combat pour sa survie.

Le dernier Loup-Garou est un roman assez étonnant. Il arrive de façon déconcertante à provoquer chez le lecteur un sentiment d’empathie totale avec une créature qui tue avec plaisir (sinon par plaisir) un humain une fois par mois, avec une régularité d’horloge ! Le narrateur est le loup-garou lui-même, et il nous fait partager ses interrogations, ses doutes moraux, ses lassitudes, et on plonge complètement. Difficile de le lâcher une fois commencé.

D’un point de vue du style, on trouve des similitudes avec Moi, Lucifer, du même Glen Duncan, mais, alors que je regrettais que cela frise parfois l’exercice de style un peu vain pour ce dernier, dans Le dernier Loup Garou, le style ironique, digressif (je crois que j’ai inventé ce mot, mais vous voyez ce que je veux dire : « qui utilise beaucoup la digression »), parfois un peu cabotin, se met au service d’une intrigue solide, et participe au phénomène d’empathie que je pointais plus haut. Paradoxalement, Marlowe est extrêmement humain, plus humain que bien des humains qui nous entourent, alors qu’il est, littéralement, en partie animal. Et Glen Duncan profite de son personnage et du paravent du fantastique pour nous livrer des réflexions sur le monde tel qu’il tourne (mal).

Extrait

Je passais l’après-midi allongé, un gant de toilette froid sur le front, à suivre avec attention le lent retour de mes gonades au repos en regardant CNN sur le grand écran plasma pour profiter du bruit blanc des nouvelles. Je suis immunisé aux nouvelles, toutes les nouvelles, fracassantes, en boucle, irruptives. Quand on vit assez longtemps,il n’existe plus rien de neuf. Or « les nouvelles », c’est ce qui est « neuf ». Tout va très bien jusqu’à ce que, au bout d’un siècle, on se rende compte qu’il n’y a plus de neuf, juste des structures sous-jacentes et des cycles qui se répètent à travers différents détails de différentes époques. Yeats a raison avec ses spirales. Les nouvelles sont d’ailleurs conscientes qu’il n’y a plus de nouvelles ; voilà pourquoi elles se donnent tellement de mal pour imprimer à leur contenu une nouveauté pressante. Exprimez-vous, c’est la toute dernière inanité — les présentateurs lisant les e-mails des spectateurs : « Steve, de Birkenhead nous écrit : Nos lois sur l’immigration sont la risée de la planète. Cette mentalité idiote Nourrissons le Monde… » Je me rappelle une époque où ce genre de choses m’aurait agacé ou au moins amusé : constater que la grande passion des démocraties occidentales consiste à transformer le moindre blogueur débile en critique et le moindre fasciste bavant en pontife de la politique.

La pulsion meurtrière du loup-garou n’étant jamais éloignée de ses pulsions sexuelles, une part du récit est crue, une autre est assez gore, parfois les deux à la fois !

Le dernier-Loup Garou est la preuve ultime que la littérature n’est pas une question de thème ou de genre. Oui, on peut faire de la littérature avec des vampires et des loup-garous. Et littérature n’est pas synonyme de « chiant », loin de là.

A paraître début Janvier (merci aux Editions Denoël pour m’avoir permis cette lecture en avant-première !). Une première bonne raison pour l’année qui vient de ne pas regretter le rendez-vous manqué avec la fin du monde (enfin, je m’avance un peu, le 21 décembre, c’est après-demain !).

Roman traduit de l’Anglais par Michelle Charrier
Paru chez Denoël Lunes d’Encre

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1 réponse à Le dernier Loup-Garou. Glen Duncan

  1. Phil dit :

    Si si, ça existe « digressif » ! 🙂
    (et rendez-vous après la fin du monde)

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